Un goût amer de déjà vu

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Le 21 novembre, Marie-Estelle Pech a publié dans Marianne un article titré : « Apprentissage de la lecture : un rapport critique des « pédagogies inacceptables » adoptées par les enseignants » : « Les méthodes efficaces pour apprendre à lire, axées sur la démarche syllabique, continuent d’être parmi les moins utilisées par les professeurs, selon une étude menée par l’École normale supérieure et dévoilée par le Conseil scientifique de l’Éducation nationale.»

Elle y rappelle la gravité de la situation actuelle constatée par le Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale : « Une préoccupation importante pour la rue de Grenelle, alors qu’entre 2000 et 2018, le pourcentage des élèves les plus faibles en compréhension de l’écrit, selon l’étude internationale Pisa, a augmenté de presque 6 % en France pour passer de 15,2 % à 20,9 %. » Elle évoque également le déni des syndicats majoritaires et des militants pédagogiques, plus prompts à dénoncer la paille idéologique dans l’œil de leurs accusateurs que d’admettre la réalité de la poutre leur obstruant la vue.  

Il faut reconnaître, à leur décharge, qu’il est prudent, aujourd’hui, de se méfier d’un Conseil prétendu « Scientifique » qui donne priorité à l’interprétation de l’imagerie médicale plutôt qu’à la pratique professionnelle des enseignants de terrain. Pourtant, les lanceurs d’alerte exerçant dans de vraies classes (pas des « laboratoires ») n’ont pas ménagé leurs efforts depuis plus de vingt ans pour annoncer la catastrophe à venir. La seule réponse que nous ayons reçue des pseudo-pédagogues est la même aujourd’hui : vous êtes des « nostalgiques d’un pseudo-âge d’or de l’école qui n’a jamais existé ». Tout le reste n’est qu’un débat stérile qui tourne toujours autour des mêmes arguments que Marie Estelle Puech résume ainsi dans sa conclusion : « il est plus simple d’opposer artificiellement les tenants du sens aux tenants du déchiffrage. » C’est le fameux débat faussé : « Globale contre Syllabique » que Michel Delord a déjà tenté de déminer en 2006 sans parvenir à en interrompre le flux.

Nous avons pourtant, et ce depuis longtemps, rappelé quelles étaient les deux clés permettant de sortir de l’impasse : l’apprentissage simultané de l’écriture et de la lecture et le rôle primordial de la maternelle dans cette démarche.

Le GRIP a publié des manuels et des documents pédagogiques  (De l’écoute des sons à la lecture ; Mon Cp avec Papyrus manuel de l’élève ; livre du maître ; Écrire et lire ), participé à des conférences et des colloques (« Pourquoi vos enfants ont-ils des problèmes en lecture ? » ; écriture-lecture, la pédagogie oubliée)

Mais arriver à un tel constat après plus de vingt ans de combats laisse inévitablement un goût amer :

« L’article de Marianne est implacable.

Mais on le lit avec beaucoup d’amertume.

En 2000, Mireille et moi – et quelques autres membres de l’Association Sauvez les Lettres – passions nos samedis matin à la sortie des écoles maternelles pour distribuer des tracts aux parents et les alerter sur les méthodes d’apprentissage de la lecture.

Combien de livres ont été écrits sur la question !! Combien d’interventions dans les médias – j’en ai fait beaucoup – Combien de courriers aux journaux – comme l’excellente lettre de Mireille (voir ci-dessous) …

Gageons qu’une fois de plus, cela ne servira à rien. Et que, malgré l’étude du Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale, la plupart des maîtres de CP, l’an prochain, ne changeront pas d’un iota leur manière d’enseigner la lecture et ressortiront LEUR manuel.

C’est à pleurer.

Cécile »

 

Réponse à l’article de M. André Ouzoulias, paru dans Libération du 4 janvier 2006, par Mireille Baux-Grandval.

L’article de M.Ouzoulias du 4 janvier dernier contient tant d’erreurs que je ne peux les laisser passer.Il est faux de dire que «le B-A, BA est enseigné [au CP] dès le début de l’année».

Tous les parents peuvent le vérifier : au CP, on commence par la «semi-globale», c’est-à-dire en continuant ce qui a été pratiqué dans les deux dernières années de maternelle et qui est bel et bien de la « globale » telle qu’elle est décrite dans deux documents officiels : Qu’apprend-on à l’école maternelle ? et dans le chapitre «Cycle des apprentissages fondamentaux –cycle 2» extrait du bulletin officiel n°1 du 14 février 2002, où l’on peut lire qu’au CP, l’élève «poursuit et complète le travail commencé à l’école maternelle». Or, comme le dit le premier document, à la fin de la maternelle, on doit se demander : « L’élève est-il capable d’identifier instantanément les mots classés dans les cinquante premiers rangs de la liste de fréquence ? (…) La reconnaissance des mots est un point d’appui important pour la lecture, car elle prend moins de temps que le déchiffrage intégral de chaque mot rencontré. »

Et tous les parents savent qu’en maternelle les enfants apprennent à reconnaître des étiquettes, et non pas à lire des lettres et à apprendre le son qu’elles « font » !

Et, au CP, on continue selon cette méthode au moins jusqu’à la Toussaint.Ouzoulias brandit le spectre de la dyslexie, pour inquiéter les parents, affirmant que c’est dans les années 60 que se produisit le «boum» de la dyslexie, alors que, tout simplement, c’est à ce moment-là que l’on tenta de sensibiliser les instituteurs à ce problème et que l’on commença donc à dépister les éventuels dyslexiques.Ce que ne dit pas M. Ouzoulias, en revanche, c’est que depuis les années 70 et de plus en plus, les orthophonistes voient se précipiter dans leur cabinet de «vrais-faux dyslexiques», dont les quatre cinquièmes sont en fait des «mal appris» de la lecture. M. Ouzoulias n’a sans doute pas lu le livre de l’orthophoniste Colette Ouzilou, La dyslexie, une vraie-fausse épidémie (Presses de la Renaissance, 2001), qui analyse très bien le problème, affirmant que ce départ d’apprentissage de la lecture en « globale » va induire des réflexes désastreux chez 40% des élèves, réflexes dont ils ne parviendront pas à se défaire ! D’ailleurs, c’est une méthode syllabique qu’utilisent les orthophonistes lorsqu’ils rééduquent les « mal appris » de la lecture…

De même, M. Ouzoulias prend comme preuve du supposé mauvais fonctionnement de la méthode syllabique, le taux élevé de redoublants en CP – « plus de 30% au milieu des années 60 ». Or il semble avoir « oublié » que, depuis la loi Jospin de 1989, aucun élève, sauf exception, ne doit redoubler le CP, et qu’il y a des «quotas» très stricts de redoublements à respecter, et tant pis pour ceux qui passent en CE1 alors qu’ils ne savent pas lire !

Et M.Ouzoulias me semble particulièrement de mauvaise foi lorsqu’il met en avant «le nombre de classes de perfectionnement et de classes d’adaptation» qui accueillaient, en fait, des enfants psychologiquement très fragiles, et parfois légèrement déficients, ayant besoin d’un enseignement adapté à leur handicap. Il faut dire que ces enfants existent toujours mais que, pour des raisons budgétaires, on a supprimé ces classes spécialisées, et qu’on a décidé d’inscrire ces enfants dans les classes « régulières », ce qui n’est favorable à personne.

Enfin, comble de la mauvaise foi, c’est au nom des valeurs de « solidarité, d’égalité, d’éducabilité (sic) et de démocratisation du savoir » que M. Ouzoulias prend son « gourdin » de pèlerin pour démolir la méthode syllabique.

Comme si ce n’était pas pour permettre au plus grand nombre d’avoir accès à un vrai savoir et à de vraies connaissances que nous nous battons ! Comme si nous ne tenions pas le plus grand compte de l’état dans lequel se trouve aujourd’hui l’école de la République ! C’est grâce à la maîtrise de la lecture dès la fin du CP que l’élève pourra progresser dans sa scolarité, à condition, bien sûr, que les programmes des années suivantes soient riches ! Car moins l’école transmet de connaissances et plus elle est inégalitaire, puisque les enfants des milieux modestes n’ont que l’école pour s’instruire ! Tous ceux, donc, qui approuvent les réformes de ces dernières décennies, et particulièrement celle de 1989 (loi Jospin) sont profondément « anti-égalitaires » et «anti-démocratiques». Les effets de cette réforme sont désastreux, comme l’avait écrit M. Jean Ferrier, chargé officiellement par le ministère de faire, en 1998, un rapport sur l’école primaire après huit ans de réforme Jospin. Son rapport commence ainsi « On peut estimer à environ 25% d’une classe d’âge la proportion des élèves en difficulté ou en grande difficulté à l’entrée au collège.» [Ce rapport est disponible sur le site de la documentation française]

Enfin, on notera que M. Ouzoulias ne nomme pas les sites Internet dont il extrait des mots d’ordre. Là aussi, l’amalgame est malhonnête puisque l’on reconnaît des sites qui mélangent lutte pour une école de qualité et programme de droite dure (suppression des syndicats), et des sites pour lesquels compte avant tout une école de qualité. Et c’est pour cela qu’ils réclament la suppression des IUFM (institut de « formatage » des maîtres) ! On comprend bien que M. Ouzoulias, qui y enseigne, y soit opposé ! Mais le public ignore sans doute que ce sont les mêmes professeurs qui enseignent dans ces instituts ET notent leurs étudiants et donc valident leurs années de formation ou non ! Ils ont beau jeu, après, à demander à leurs étudiants de critiquer l’enseignement qu’ils reçoivent !

En fait, en matière de lecture, on a affaire, en France, à un dogme : on n’a pas le droit de le critiquer. Or, comme depuis quelques années des livres ont paru qui décrivent TOUS la crise de notre enseignement et, plus particulièrement, de notre enseignement primaire avec gros plan sur l’enseignement de la lecture selon la méthode semi-globale, les grands prêtres de cette méthode, fort bien introduits auprès des médias, sont tous montés au créneau.

Ils n’ont de cesse de traiter de « réactionnaires » ceux qui veulent réintroduire une méthode qui marche, car elle est fondée sur le bon sens – partir du simple pour aller vers le complexe.

Prétendre défendre « l’intérêt des enfants » en falsifiant comme cela la vérité, et parler au nom «des professionnels de l’enseignement de la lecture» me paraît malhonnête. Je ne connais de « professionnels de la lecture» que ceux qui sont sur le terrain, c’est-à-dire les instituteurs, qui voient tous les jours les dégâts causés par la semi-globale, et les professeurs de lycée et collège qui sont impuissants à aider tous les élèves – nombreux – qui lisent mal !

Enfin, je me demande pourquoi, lorsqu’on répond à un article paru dans « Rebonds» en démontrant, documents à l’appui, qu’il contient des affirmations erronées, on n’est JAMAIS publié !

Libération aurait-il des convictions qui confinent au respect absolu du dogme ? »

 

Qui faut-il blâmer dans cette histoire ? Les médias ? Le Ministère ? Les formateurs ? Les experts auto-proclamés ? Les syndicats ? Les éditeurs ? … Chacun trouvera sans doute une justification aux errements de son propre camp (à supposer qu’il les reconnaisse) mais l’inertie du système est prodigieuse et les dégâts épouvantables.