Une fois n’est pas coutume, des professeurs, membres du GRIP, nous font part d’améliorations notables à propos des nouveaux programmes, en l’occurrence, ceux de mathématiques de terminale (spécialité et maths expertes).
Le programme de mathématiques d’août 2019, actuellement en vigueur est venu terminer le changement qui avait été amorcé en seconde et première. Nous avons maintenant quelques années de pratique avec les élèves à propos de ce programme.
Ce programme est bien meilleur que le précédent pour plusieurs raisons. Les notions abordées sont très liées entre elles, elles forment un tout cohérent et l’étude des notions qui suivent renforce la compréhension et la pratique des notions qui précèdent. La réintroduction du dénombrement est à saluer, ce chapitre se lie avec profit à d’autres chapitres comme celui des suites (factorielles), la loi binomiale, le binôme de Newton, les polynômes en math expertes, et bien entendu les chapitres de probabilités. L’introduction de la convexité est aussi à saluer , pour toutes les inégalités de convexité qu’elle véhicule en analyse, mais aussi pour la pratique de la dérivation qu’elle sollicite et renforce. La réintroduction des équations différentielles est aussi à saluer. Elle entretient un lien fort avec la physique, elle crée un second moment d’étude des primitives par rapport à l’intégration, elle renforce elle aussi la pratique de la dérivation. Inutile de souligner ici le caractère fondamental de cette notion en vue des études du supérieur. La loi faible des grands nombres est un théorème qui couronne les probabilités en terminale, il vient donner une première formalisation aux intuitions liées aux variables aléatoires moyennes et à la notion d’espérance. C’est un théorème accessible via l’inégalité de Bienaymé-Tchebychev et compréhensible par les élèves.
Le programme de « math expertes » est riche et avec l’arithmétique, les nombres complexes, les polynômes, les matrices, les graphes et les processus de Markov, il permet aux élèves désireux de poursuivre en classe préparatoire ou plus généralement dans des études scientifiques avec un bagage solide, des capacités de raisonnement affutées.
Si nous portons un regard rétrospectif sur les changements de programme en lycée, en laissant de côté tout commentaire sur la réforme globale du lycée et les questions structurales, les programmes en vigueur sont plutôt meilleurs que les précédents. Le problème qui demeure et qui avait été souligné lors de l’audition du GRIP par la mission Torossian-Villani est que les élèves n’arrivent pas au sortir du collège majoritairement en capacité de suivre ces programmes. La maîtrise de la langue et les capacités en calculs sont insuffisantes mais aussi les capacités de raisonnement, la pratique de la démonstration ne sont pas suffisamment travaillées. Prenons un exemple symptomatique, le GRIP a été de ceux qui ont appelé le retour des triangles « égaux » et des triangles semblables dans les programmes de collège, notamment au cours d’une réunion organisée par Xavier Buff en 2015. Lorsque les collègues en collège enseignent les « cas d’égalité » des triangles en 3ème cela montre qu’ils n’ont pas compris la démarche qui consistait à les réintroduire. C’est un outil puissant pour asseoir la théorie et échafauder la théorie géométrique en pouvant démontrer facilement les théorèmes et lier les idées entre elles. Les mettre à la fin, c’est poser les fondations après les murs. Les triangles semblables, en revanche, sont des outils puissants de résolution de problèmes, il est normal qu’ils arrivent plus tard. Une chose regrettable est le fait de ne pas avoir mis dans les programmes de collège tous les résultats sur les angles qui interagissent avec cet outil et font vivre ces notions, comme les angles inscrits et les angles au centre et tous les problèmes qui y sont liés.
Ces réflexions en appellent de plus profondes. Les mathématiques sont la base de la manière scientifique de décrire le monde phénoménal et d’avoir prise sur lui, mais une fonction ne court pas la campagne, pas plus qu’un paraboloïde hyperbolique ou la surface de Clebsch. Ce n’est pas seulement un langage mais une construction logique fondée sur des abstractions de la réalité. Un cours de mathématiques sans construction logique ne serait qu’un empilement de dogmes sans réalité physique bien entendu, mais aussi sans « réalité » mathématique. Un fait mathématique n’a de »réalité » qu’au sein de la construction logique dans laquelle il apparaît.
Évidemment, on n’enseigne pas dès les petites classes avec une progression logiquement pure et, en tant qu’abstraction de la réalité, l’activité mathématique n’est pas dépourvue de contenu intuitif, bien au contraire, et même y intervient une intuition qui se façonne en liaison avec le formalisme. C’est même une des réflexions fondamentales qui ont été à la base de la démarche du GRIP. La première grande étape vers une construction logique, après la construction intuitive et rationnelle du primaire,doit être celle du collège dans un esprit classique. Une seconde étape vers une synthèse logiquement cohérente doit être le lycée, dans un esprit moderne.
Julien Giacomoni