Métiers sacrifiés

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Karen Brandin, dans une tribune fort pertinente, met en évidence des liens entre le sort des soignants et celui des enseignants :   profs, medecins : deux métiers sous influence

Elle manie l’euphémisme en évoquant « deux métiers sous influence », ne faut-il pas parler aujourd’hui de « métiers sacrifiés », comme nous l’avions fait il y a deux ans à propos du tragique assassinat de Samuel Paty : Le sacrifice des enseignants.

Morceaux choisis de cette tribune :

« Avons-nous encore le droit d’avoir des idées, des convictions, de revendiquer des compétences ? La vocation, qu’il s’agisse de la médecine ou de l’enseignement, est-elle devenue une passion honteuse, marginale ? Ces professions sont-elles condamnées à être sous l’influence d’une hiérarchie toujours plus envahissante, toujours plus castratrice ?

Annuler doucement, mais sûrement toute autonomie, semer non plus un doute « raisonnable », une prudence légitime, mais bien plus sûrement une incertitude délétère qui, à terme, paralyse. C’est ce qui guette ces corps de métiers soumis à de trop fortes contentions.

Si l’homme n’est pas infaillible dans sa mission de transmettre ou encore dans son diagnostic, la machine (notamment administrative) ne l’est pas davantage, fût-elle équipée d’une IA. Elle doit rester un outil et ne jamais devenir une excroissance, encore moins une donneuse d’ordres. Il faut retrouver une autonomie de réflexion qui permette de gérer la peur de l’erreur et refuser que l’on vienne s’immiscer dans ces professions à visée humaine avec en ligne de mire, le célèbre adage : « diviser pour mieux régner. »

Toute initiative, qu’elle soit pédagogique ou médicale, est, de fait, présumée coupable.

Ce qui peut, ce qui doit retenir les Ulysses des temps modernes (que nous sommes tous en puissance) de succomber aux appels répétés des sirènes des protocoles et de développer une addiction à une liberté surveillée qui nous déresponsabilise au profit d’une tribu protectrice fantasmée, c’est peut-être la prise de conscience que nous ne sommes plus jamais que le dernier maillon d’une chaîne de décisions trop longue pour nous donner le courage de la briser et trop courte pour nous garantir la liberté de penser, d’instruire ou encore de soigner.

Il est plus que temps de se réveiller et de se réconcilier avec notre condition d’être humain. C’est à ce prix que l’on pourra espérer lutter efficacement contre cette hémorragie du sens qui menace nos professions respectives et retrouver la satisfaction et la fierté d’un travail original, soigné et motivé. »

 

Côté soignants, la crise sanitaire a conforté le ressenti du professeur de mathématiques. Le Docteur G. B., médecin suspendu à cause de l’obligation vaccinale, réagit :

« Quelle clairvoyance ! Que dire de plus ?

Côte médecine, on met en exergue les aléas thérapeutiques, on aggrave les déserts médicaux, on suspend les médecins qui suivent leur serment d’Hippocrate pour faire peur aux patients, casser la relation privilégiée médecin/patient, leur faire plébisciter les solutions de médecine virtuelle.

Toute relation qui pourrait apporter un bien-être social, une indépendance du système, est stigmatisée, déconstruite, moquée… Une population faite d’individus isolés, sans repères, sans références, sans conseil, est plus facile à manipuler !

Notre sens clinique est muselé au profit des protocoles… « Surtout ne réfléchissez plus, les autorités vous en déchargent ». Lesdits protocoles sortis pendant la période Covid n’ont aucune référence scientifique alors même que les articles scientifiques internationaux fleurissent sur les traitements précoces efficaces. Les AMM sont données sur 2 ou3 études à la méthodologie douteuse quand on la refuse à des traitements déjà connus dont l’innocuité est consensuelle tant qu’on l’utilise dans les règles de prescription et pour lesquels de nombreuses études internationales prouvent l’efficacité.

Mais les protocoles édictés par l’autorité de contrôle, aidés par les médias décrédibilisant toute parole contraire sur le terreau de la peur instillée par les mêmes autorités et les mêmes médias… ont eu raison de la réflexion de la plupart…

Et puis se lever pour défendre notre liberté de penser, d’enseigner, de prescrire, d’aller et venir prend du temps, de l’énergie, du courage.

L’enseignement et la médecine deviennent des métiers à risque.

Je prends le risque. Au bout il y a des patients, des élèves qui ont le droit qu’on se batte pour eux. »

 

Côté enseignement, les témoignages ne manquent pas mais, même si le mouvement « Pas de vagues » a libéré la parole, beaucoup craignent encore « d’y laisser des plumes » en s’exprimant librement. Toutefois, trouvera-t-on plus explicite que ces prémonitions d’Henri Gunsberg, qui datent de cinquante ans (Le Lycée Unidimentionnel) :

« La culture est un vain mot pour les thuriféraires de l’idéologie du PIB, car elle ne sert rigoureusement à rien d’immédiatement productif et l’enseignement devrait, selon eux, distribuer une connaissance non plus abstraite, mais socialisant l’élève et l’intégrant aux réalités présentes. Aussi n’est-ce pas sur son savoir et sa capacité à véhiculer des connaissances que le professeur sera demain jugé, mais sur son habileté à jouer un rôle d’adulte apprenant à des adolescents l’art de se comporter dans la société : compréhension des signaux, utilisation des institutions, participation à des tâches collectives, etc … À partir de là, les professeurs, enserrés dans un cadre plus étroit, devront faire la preuve de leur sûreté dans ce nouveau labeur de guides sociaux, et une compétition permanente s’établira entre eux pour la désignation des plus qualifiés. Autrefois, le professeur était jugé sur son savoir et sur sa technique de transmission des connaissances par une administration lointaine ; demain, il sera, sur place et en permanence, pesé selon son adresse à manier les groupes et son dévouement à la jeunesse. Hier, la vanité universitaire se maintenait au niveau de l’individu et s’arrêtait là : chaque enseignant était convaincu d’être un petit génie ; demain, une confrontation permanente devant des juges permanents créera une certaine émulation parmi tous les professeurs quelle que soit la matière enseignée la transmission des connaissances sera remplacée par l’art des public-relations. Et le professeur surveillera le professeur. Ce système mènera à une escalade démagogique et écrasante pour l’intellectuel salarié. Le travail proprement dit ne sera pas tellement alourdi, mais la présence sera incessante et la vie de l’enseignant sera dévorée par des tâches non pas pénibles mais multiples et contraignantes. Dans ce nouveau système, les médiocres, les minuscules ambitieux, les malins étriqués triompheront ; dans la société telle qu’elle est, c’est le conformisme qui assure les plus brillantes perspectives lorsque votre carrière dépend de juges locaux. Laminé par son travail et peu désireux de conflits car, justement, le conflit prouverait votre gaucherie dans vos nouvelles attributions, l’enseignant pratiquera l’autocensure et apprendra à courber l’échine. Risquant sans cesse d’être discuté, il évitera de donner des aliments à ces discussions et adoptera les points de vue et les attitudes les plus conventionnels. Le laminage du professeur sera quotidien. Dans ces futurs établissements, le maître chahuté ou simplement rabroué avec grossièreté par un élève sera, au fond, le véritable responsable du conflit puisque sa tâche sera de socialiser les élèves, et le jugement des élèves sur leurs maîtres aura une autre importance que celui des maîtres sur les élèves … Quant aux professeurs, ils seront autres ; voilà tout. Bulles de savon légères, incolores et inodores, soufflées au gré des uns et ballottées par les brises, craignant d’éclater au moindre choc, groupées au plus imperceptible frisson d’air, vous êtes ce qu’ils seront. Les professeurs des établissements de demain seront des esprits dociles, sans vigueur ni relief et aussi semblables entre eux que possible. Leur rôle sera de vanter indirectement une société qui les écrasera, un monde qui les méprisera, un système qui les étouffera. Dans un pays où l’éloge du PIB est tout, l’intellectuel n’est rien de plus que l’écho des cris d’alarme qu’il pousse ; il n’y aura plus d’écho puisqu’il n’y aura plus de cris. Enseignant et prônant des valeurs qui précisément repoussent au bas de l’échelle celles qui faisaient jusqu’ici sa force et son prestige, l’enseignant dégringolera au sein de la société. Manipulé par les uns, improductif pour les autres, domestique de la société pour tous, le professeur de nos futurs établissements sera donc bien différent de ce qu’il est aujourd’hui : son caractère aura la minceur du papier à cigarettes, sa personnalité sera celle d’un objet de Prisunic.»

 

Pascal Dupré