Garderie Nationale

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Les désordres occasionnés par le flux, puis par le reflux du confinement vont-ils nous permettre de prendre conscience du délabrement de notre système éducatif ? On ne peut que l’espérer en lisant sur un blog le constat implacable de cet enseignant :

Non, le coronavirus ne transforme pas l’Éducation nationale en Garderie nationale, elle l’était déjà

Extraits choisis :

La multiplication des activités :

Pour le primaire, ce sont de multiples activités aussi diverses que variées qui se multiplient et dont l’utilité pour certaines restent à prouver. Vous allez dire que tout ça a toujours existé ; oui certes mais il y a une vingtaine d’années, certains élèves en difficulté étaient réorientés, on offrait la possibilité d’une scolarité plus adaptée et on allégeait les classes d’un point de vue du travail d’accompagnement du professeur. Depuis dix ans, on veut que tous les élèves suivent une scolarité “normale” sous couvert de scolarité générale ; on ne prend plus en compte le fait que, oui certains élèves n’ont pas les aptitudes pour suivre une scolarité générale et se retrouvent en grande difficulté et en échec parfois durs à vivre pour eux.  

 

L’accueil sans distinction d’enfants ayant tous types de handicap

Et nouvelle étape en cette rentrée 2020 : l’accueil d’enfants ayant tous types de handicap (étant moi-même handicapé et ayant grandi dans une école et une société des années 1980-1990 pleinement ouverte aux personnes handicapées, je pense malgré tout être bien placé pour en parler). Aujourd’hui, au spectre large des profils d’élèves évoqués plus haut, se rajoute dans les classes des enfants pouvant avoir des handicaps cognitifs lourds. Là encore, le professeur doit donc adapter (et de 3, voire 4, 5, 6…) ses enseignements à cet élève tout en “donnant à manger” à l’élève “classique” qui veut apprendre et progresser, tout en aidant un autre élève qui a des difficultés mais qui peut progresser si on l’accompagne, mais sans oublier l’élève décrocheur qui ne comprend plus rien et reste en classe parce que c’est obligatoire, et maintenant il faut aussi aider ce petit qui a certes une aide humaine (merci aux accompagnants des élèves en situation de handicap) mais sans qu’il se sente exclu. Une équation à plusieurs inconnues digne de la physique théorique que le professeur doit pourtant résoudre.

 

Une gestion automatique des flux qui exclut toute cohérence des programmes

Des doutes subsistent ? Très bien, alors abordons désormais un outil qui, autrefois, permettait au professeur de maintenir l’idée d’un apprentissage essentiel et oui c’est utile : la disparition des conseils de classe. L’appellation conseil de classe est ici employée de manière générale car il n’y en a pas vraiment dans le primaire ; toutefois, la notion de passage ou non, selon les capacités de l’élève est également abordé (normalement) en fin d’année. Donc ici, il faut entendre conseil de classe comme dispositif/étape faisant le bilan et définissant la capacité de passer ou non aux étapes suivantes.

Il ne s’agit pas d’ouvrir le débat sur le bienfondé ou non du redoublement. Oui on trouvera des cas où il est inefficace ; mais on trouvera des cas où il est efficace. Une chose est sûre, justifier la “suppression” du redoublement pour des raisons économiques (car il s’agit bien de cela fondamentalement) est tout bonnement inadmissible. La logique économique justifiée par des tableaux Excel n’a jamais fait de bonnes réalités.

Revenons un peu sur le fondement de la fin du redoublement et avec lui sur la perte d’utilité du conseil de classe. Aujourd’hui un élève ne “redouble” plus car c’est inutile, c’est prouvé scientifiquement que le choix du redoublement est un échec. Donc on fait passer les élèves quel que soit leur niveau et pire quelles que soient leurs difficultés. Quel sens donne-t-on alors à l’éducation quand, en ne travaillant pas, en ayant des résultats catastrophiques, vous gravissez les barreaux de l’échelle du système scolaire ? Le corps enseignant n’a plus son mot à dire ; non pardon, il peut donner son avis mais sa parole n’est plus valable, elle n’a plus aucun sens puisque ce sont les parents qui décident.

 

Les enseignants décrédibilisés

Comment ne pas comprendre alors que l’éducation est devenue une garderie ! Puisque les élèves, quels que soient leur profil, leurs difficultés, passent de niveau en niveau ; cela décrédibilise les fondements même de l’enseignement, les attentes des professeurs et surtout le goût du travail et de l’effort. En plus, on leurre les familles en leur faisant croire que leur enfant n’est pas si en difficulté que cela puisqu’il atteint finalement le collège, puis le lycée, puis le baccalauréat (n’abordons pas ici les gommettes vertes, sanctionnant la validation de compétences et symboles de cette réussite si parfaite).

Bien évidemment notre système il y a une vingtaine d’années présentait des incohérences. …  Fallait-il pour autant imposer à tous les élèves de s’embourber dans une voie générale qui, pour certains, n’est pas adaptée et pire même dont certains ne veulent pas? Oui il y a des élèves qui préfèrent partir vers une voie professionnelle car ils en ont envie, ils aiment cette possibilité et certains ont conscience que les études ce n’est pas pour eux. À quoi le système répond qu’ils doivent y rester, au risque de les perdre, de les décourager, de les démotiver, même pour reprendre ensuite en fin de 3e une voie qui, un ou deux ans auparavant, les intéressait. On met en avant l’effet négatif de l’échec scolaire mais on sous-estime trop souvent l’effet négatif d’imposer une scolarité générale à long terme sur certains élèves.

 

L’éducation, le ludique et le numérique

Et que dire des innovations pédagogiques subies depuis dix ans ? Ludique, tel est le mot à la mode auprès des pédagogues, relayé par les inspections académiques. Les jeux de rôle, les projets (qu’on les appelle enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) ou classe à projet), les escape games, l’usage du numérique et des applications diverses et variées pour rendre plus distrayante la pratique de la discipline… On en oublie sûrement, mais déjà ce panorama montre bien qu’intellectuellement les fondements mêmes de l’enseignement ont changé. Sous couvert d’innovation, sous couvert de faire autrement pour mieux accompagner les élèves, sous couvert de différenciation (c’est-à-dire prendre en compte tous les profils d’élève), on fait disparaître petit à petit le but de l’Éducation nationale : apprendre, former, structurer. On ne finit que par survoler, donner de vagues éléments qui forment alors un bac à sable peu solide pour les fondations de citoyens libres et critiques. “Il ne faut pas que l’élève s’ennuie” tel est le leitmotiv, la devise, des inspecteurs et des pédagogues.

 

Il nous faut cependant modérer nos espoirs : quand le sage montre le délabrement du système, beaucoup risquent de ne voir que le virus.