Désinstruction nationale

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Énième pamphlet dénonçant la faillite scolaire ? Nouveau constat d’échec réactualisé ? Dernière tentative d’appel à la refondation ?  L’essai de René Chiche, La désinstruction nationale, aux éditions Ovadia, suscitera sans doute des réactions bien différentes mais la tonalité donnée par Didier Desrimais dans Causeur est significative :

Aujourd’hui, René Chiche, professeur agrégé de philosophie, ne tire pas la sonnette d’alarme : il pousse un dernier cri d’indignation et de colère tandis que le train scolaire, sorti des rails, finit au ralenti sa course dans les airs, avant l’effondrement final. causeur.fr

 

René Chiche nous explique le titre qu’il a forgé, «désinstruction» :

lorsque l’institution censée prendre soin de l’esprit des jeunes gens les laisse dans un tel état de quasi-illettrisme tout en leur promettant «la réussite» matin, midi et soir, je crois que ce néologisme n’est même pas assez fort pour décrire ce qui est de la non-assistance à jeunesse en danger, affamée de lettres et de culture que l’école renonce à transmettre parce qu’un grand nombre des acteurs considère que ce sont des vieilleries inutiles. L’école n’instruit plus et laisse l’esprit en jachère.  lefigaro.fr

 

La cause la plus fondamentale de cette situation ?

le triomphe des Sciences humaines sur les Humanités. L’usage de langue, c’est l’instrument de la connaissance et de la pensée. Or, cet instrument ne peut s’acquérir comme tel que par la lecture de classiques, de grands auteurs …La langue est l’instrument de toute connaissance, y compris et surtout l’instrument de la connaissance de soi. On ne peut rien savoir vraiment quand le moyen de la compréhension n’est pas maîtrisé. À défaut de savoir, on apprend par cœur des cours auxquels on ne comprend strictement rien, comme je le relate par des anecdotes dont j’aurais pu là encore remplir plusieurs volumes. Or, entre croire et savoir, il faut choisir…. Internet a donné l’illusion que le savoir pouvait se dispenser de la lecture. Comme si savoir une chose pouvait se résumer au fait d’en avoir vaguement entendu parler. L’école, finalement, au lieu de faire ce qu’elle a toujours fait, c’est-à-dire former l’esprit, se cantonne désormais à donner des informations partielles en disant qu’il s’agit là de « savoirs…L’école ne forme plus à penser, alors les élèves se contentent de croire.  marianne.net

 

Pour René Chiche, le renoncement de l’école n’est pas seulement intellectuel, il est aussi moral :

on cherche à intéresser au lieu d’instruire et l’on traite l’élève en consommateur, allant jusqu’à dévoyer la pédagogie pour la mettre au service de la paresse et de la désinstruction. … la noble tâche de l’école n’est plus d’instruire, comme le voulait Condorcet, mais de garantir (oui, garantir !) la «réussite» ! La belle affaire ! On réclamera bientôt la réussite par pétition ! D’ailleurs on le fait déjà. On oublie toutefois que la réussite présuppose le travail, l’effort et même l’échec, duquel on apprend à se relever par persévérance, et c’est cela qui est formateur. 

 

Une des clés proposées par René Chiche :

Il faut reconstruire un corps professoral qui n’a été que trop abîmé. Aujourd’hui, les professeurs rasent les murs, sont sans cesse en train de s’excuser, craignent la pression de la hiérarchie… Ils n’osent pas affirmer ce qu’ils sont ni leur autorité. Les injonctions de la hiérarchie sont malheureusement un frein. … voyez-vous, un professeur qui fait simplement son travail, qui ne fait pas de bruit, qui ne cherche pas à faire parler de lui dans le journal de la commune, est considéré par sa hiérarchie comme un mauvais professeur, voire un encombrant que l’on attend de pouvoir remplacer par un enseignant (j’emploie ce mot à dessein pour le distinguer de celui de professeur) docile, recruté par contrat, taillable et corvéable à merci … Il y a cependant toujours des professeurs, de vrais hussards noirs, et en réalité ils le sont encore presque tous, et cela en vertu de leur mode de recrutement. Car un professeur est avant tout un intellectuel. C’est sans doute la raison profonde pour laquelle, si on veut en finir avec les hussards et les remplacer par des animateurs ou de simples assistants dans le face-à-face entre l’élève et l’écran auquel certains voudraient que ressemble dorénavant l’enseignement, on cherchera d’abord à réformer le mode de recrutement et le concours, qui fait encore la part belle à la maîtrise d’un champ disciplinaire. L’autorité morale du professeur a pour fondement son autorité intellectuelle. Et depuis toujours ceux qui font profession de penser ont pour ennemis jurés, à leur corps défendant, tous ceux qui mettent l’administration des choses au-dessus du gouvernement des hommes et du soin que l’on doit à l’esprit.

Reconstruire l’école est l’affaire des professeurs, non des politiques … recruter d’excellents maîtres et de les laisser faire leur travail », « voilà ce qui produirait davantage de fruits à tous les niveaux de l’institution que les chamboulements qui lui ont été infligés jusqu’à présent et qui ne sont parvenus qu’à détruire les vocations et assécher l’enthousiasme des acteurs, ce dont l’école aujourd’hui ne parvient plus du tout à se remettre.

 

Nous ne pouvons que souscrire à ces propos, mais le problème reste entier : comment, aujourd’hui, recruter d’excellents maîtres et comment les former, sans un changement politique radical ?