Vingt ans après …

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Pour commémorer l’œuvre de Jean-Pierre Demailly en faveur de l’instruction publique, il nous a paru opportun de rappeler la pétition qu’il avait co-signée en octobre 2001. Celle-ci marque le début de son engagement auprès des enseignants de l’association dont il sera le fondateur : le GRIP. Il s’agissait alors de s’opposer au projet de nouveaux programmes de l’école primaire en France, qui seront estampillés 2002. Même si ceux de 2008 marquent un ralentissement dans la dégradation des programmes en matière de contenus, la plupart des constats de cette pétition restent d’actualité. Nous noterons qu’à l’époque, la question des programmes du primaire mobilisait encore nombre d’enseignants et d’associations, en France, et à l’international.

Quelques mois auparavant, Jean-Pierre Demailly avait transmis au gouvernement un rapport sur l’enseignement des sciences : Rapport sur l’enseignement des sciences – Août 2001

 

 

NOUVEAUX « PROGRAMMES » DE L’ÉCOLE PRIMAIRE

NE PLUS APPRENDRE À LIRE, ÉCRIRE, COMPTER ET CALCULER.

PROSCRIRE TOUTE FORME DE PENSÉE COHÉRENTE.

Site original de la pétition : Sauvez Les Lettres

Rédacteurs principaux : Michel Delord et Michel Buttet

 

       Le Ministère de l’Éducation nationale, relayé par les médias, ne cesse de vanter les mérites de l’École primaire, et incrimine le Collège, « maillon faible du système éducatif ».      

Mais l’enseignement secondaire ne peut rien construire sur une absence de fondations. Et les programmes des différentes disciplines exigent que les savoirs de base, en français et en arithmétique, soient maîtrisés.       

En réalité, bien que les programmes actuels du collège aggravent encore les difficultés des élèves, la source de bien des problèmes se situe en amont. Ainsi M. Ferrier, Inspecteur général de l’Éducation nationale, notait-il déjà, en 1998, dans un rapport intitulé Améliorer les performances de l’école primaire : « Selon les années, ce sont entre 21 et 42% des élèves qui, au début du cycle III (entrée au C.E. 2), paraissent ne pas maîtriser le niveau minimal des compétences dites de base en lecture ou en calcul ou dans les deux domaines. Ils sont entre 21 et 35 % à l’entrée au collège. […] l’institution ne peut pas ne pas prendre très au sérieux la situation ainsi révélée : on peut estimer à environ 25 % d’une classe d’âge la proportion des élèves en difficulté ou en grande difficulté à l’entrée au collège. »

      L’acquisition de ces « compétences de base en lecture ou en calcul » suppose des séries d’exercices répétitifs et imitatifs développant l’utilisation de la mémoire : ces activités demandent du temps et sont réalisables à l’âge où l’élève se plaît dans l’imitation des adultes.       

Mais :       

  • le refus de la mémorisation et du « par cœur » au nom du « libre exercice de l’intelligence »,      
  • la limitation drastique du temps global consacré aux apprentissages fondamentaux pendant les trente dernières années : en français, on est passé, pour le C.P. de 15 h. par semaine en 1967 à 9 h. actuellement, soit une perte totale pour le primaire qui correspond au minimum à une année scolaire,       
  • l’allégement continu des programme,

font qu’un certain nombre de « bonnes habitudes » et de contenus, que l’école primaire a bannis, sont presque impossibles à acquérir ensuite au collège, a fortiori au lycée. Alors que la difficulté réelle des élèves pour apprendre une leçon provient du fait qu’on ne leur a jamais demandé d’entraîner leur mémoire, on recommande de leur faire des « cours de méthodologie ». Il est également facile de comprendre qu’à l’âge où ils développent leur autonomie, les élèves n’aient plus envie de passer beaucoup de temps à apprendre à faire des opérations ou à maîtriser des règles de grammaire, connaissances pourtant indispensables. Dans ces conditions, le discours actuel ne fait qu’entretenir l’illusion : on attend de l’élève qu’il soit autonome sans lui en avoir donné précédemment les moyens intellectuels.

      De nouveaux projets de programmes pour l’École élémentaire avaient été rendus publics en 1999 : ils proposaient, par exemple, de réduire l’apprentissage des opérations au point que la division de 43 par 3 n’était plus au programme. Passés à la trappe sans aucune explication, après avoir été « soumis à une consultation », pourtant jugée positive, ils sont remplacés par un nouveau projet, lui aussi « soumis à consultation ». Nous avons pris connaissance de ce projet, fruit des travaux de la commission Joutard.       

Nous faisons les constatations suivantes.

EN FRANÇAIS

UNE RÉDUCTION DE L’HORAIRE. L’horaire hebdomadaire en CE2 et CM est réduit à 6 heures – ce qui représente une perte de 3 heures sur 3 ans.    

LA « MAÎTRISE DE LA LANGUE » SANS LA GRAMMAIRE. Le projet de grille horaire distingue la « maîtrise de la langue », à laquelle n’est affecté aucun temps spécifique, de la grammaire. En d’autres termes, l’étude de la grammaire, l’apprentissage de ses règles, ne sont plus considérés comme directement liés à la « maîtrise de la langue ».   

DES COUPES CLAIRES DANS LES CONTENUS. En 1995, par rapport aux instructions officielles de 1985, avaient déjà disparu des programmes : les compléments circonstanciels de manière, de but, de cause, de conséquence, etc. ; les conjonctions ; les pronoms interrogatifs ; le plus-que-parfait, le futur antérieur, le subjonctif passé ; la voix passive. En 2002, cette liste serait complétée par : la juxtaposition, la coordination, la subordination ; la conjugaison des verbes du 3ème groupe ; le passé simple. Cette liste n’est pas, hélas, exhaustive. Elle montre, néanmoins, que l’on a décidé de poursuivre un mouvement de réduction des contenus enseignés, lequel se traduit par la réduction de l’horaire. On notera aussi l’incohérence qui consiste à demander aux élèves de lire ou d’écrire des « récits » sans connaître les temps du passé.    

QUESTIONS DE METHODE. Les exercices dits systématiques, qui permettent de créer des automatismes sont définitivement bannis de l’enseignement primaire. Il ne saurait plus être question d’apprendre par cœur des tableaux de conjugaison, ni des règles d’orthographe.

EN MATHÉMATIQUES

Depuis 1995, les élèves sortant du primaire ne connaissent plus la multiplication des nombres décimaux et encore moins leurs divisions car « le calcul du produit ou du quotient de deux décimaux n’est pas un objectif du cycle ». Ils ne savent faire des opérations que sur les « petits nombres ». Les volumes ne peuvent qu’être évalués en litres suite à la disparition des unités de volumes et le km² n’existe plus… 

Pourtant, dans les 8 premières heures de géographie en sixième, le programme exige que « les élèves découvrent la complexité des rapports entre la densité de la population d’une part, la richesse et la pauvreté d’autre part » : en fait ils « découvrent la complexité » d’opérations qu’ils ne savent pas faire, avec des unités qu’il ne connaissent pas. Anticipant l’esprit de la commission Joutard, les Inspecteurs Pédagogiques Régionaux d’histoire-géographie conseillent déjà de traiter la densité de population… sans la calculer. On pourra donc en « parler ».       

Le nouveau projet de programme poursuit cette logique – mais en l’aggravant : en géométrie, disparaît tout apprentissage des volumes, la seule connaissance en matière d’aire est l’aire d’un rectangle dont les dimensions sont entières (mais pas trop grand, car les unités plus grandes que le mètre ne sont plus au programme), tandis que passent définitivement à la trappe l’aire et le périmètre du cercle.

ARRÊTER LA DESTRUCTION DE L’ENSEIGNEMENT D’UNE PENSÉE STRUCTURÉE

Les signataires de la présente appellent

– à rejeter cette nouvelle « réforme », dont l’application conduira à une nouvelle augmentation du nombre d’élèves qui, ne sachant ni lire ni écrire, seront dans l’incapacité d’apprendre quoi que ce soit, dans quelque discipline que ce soit.

– à s’opposer à la spirale infernale, depuis longtemps en action, qui prétend faciliter la compréhension en allégeant les savoirs fondamentaux. Le résultat en est l’exact contraire : la « structure en gruyère » des programmes rend plus difficile ou même impossible la compréhension des savoirs fondamentaux rescapés. Cela servira de prétexte à d’autres allégements mais surtout détruit déjà chez l’enfant toute possibilité d’accession à la rationalité, lui apprend au contraire systématiquement à « penser » de manière incohérente et réduit l’enseignement à des contenus procéduraux qui ne peuvent même plus être maîtrisés car la simple maîtrise de mécanismes suppose justement un minimum de rationalité.

– à s’opposer à la justification de cette spirale qui sépare l’ « intelligence conceptuelle » de ses manifestations concrètes, de la maîtrise des techniques de base et de l’utilisation de la mémoire : on est censé comprendre la division sans la pratiquer, écrire un récit sans connaître les temps du passé, étudier la densité de population sans la calculer, etc. On pourra donc parler de tout sans rien connaître. Conception qui autorise la rédaction de « programmes » dont l’enflure verbale proliférante a de plus en plus de mal à masquer un contenu réel de plus en plus misérable.

Octobre 2001

Pré-signataires français de l’appel :

Michel Delord, professeur certifié de mathématiques, 33 La Brède. Michel Buttet, professeur de lettres, membre du collectif « Sauver les lettres ». Hubert Aupetit , professeur de lettres en CPGE , Lycée Henri-IV , Paris. Roger Balian, physicien, Académie des Sciences, vice-président sortant de la Société Française de Physique. Adrien Barrot, professeur de philosophie, président de l’association « Reconstruire l’Ecole ». Rudolf Bkouche, Université de Lille. Hervé Boillot, professeur de philosophie, attaché de recherche au CNRS. Laurent Bonavero, maître de conférences, Géométrie analytique et algébrique complexe, Institut Fourier, Grenoble. Philippe Boulanger , directeur de « Pour la Science ». Marcel Bouteiller, professeur agrégé de mathématiques, 19 Brive.Blaise Buscail, professeur de philosophie, Lycée H. Vogt, Commercy. Webmaster l’ « Union des Sites Web pour la Défense de l’Ecole ». Christophe Champetier, maître de conférence, Topologie, UJF, Institut Fourier. Simon Charbonneau, maître de conférence à l’Université de Bordeaux I. Président de l’ANCER, Association Nationale pour une Chasse Ecologiquement Responsable. Gustave Choquet, mathématicien, Académie des Sciences. Alain Connes, mathématicien, médaille Fields 1982, prix Crafoord 2001, http://www.ihes.fr/~connes/ Pedro Cordoba, maître de conférences d’espagnol, Université de Reims. Monique Lise Cohen, écrivain. Monique Decauwert, maître de conférences, Algèbre et Géométrie, UJF, Institut Fourier, Grenoble. Bernard Delaplace, professeur en mathématiques, Cours privé Hattemer (Paris 8ème), Collège privé Saint Georges (Paris 19ème). Jean-Pierre Demailly, mathématiques, UJF, Institut Fourier, membre correspondant de l’Académie des Sciences, (http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/~demailly/). Claude Duneton, écrivain. Christian Dupuis, maître de conférence, Analyse Harmonique, UJF, Institut Fourier, Grenoble. Thierry Favier, maître de conférences, Université de Bourgogne. Fabien Grandjean , professeur de philosophie, Lycée Louis Barthou à Pau. Francis Gillery, cinéaste. Philippe Gumplowicz , maître de conférences en musicologie à l’Université de Bourgogne. Nico Hirtt, professeur de physique, Belgique, http://users.skynet.be/aped/. Samuel Huet, inspecteur honoraire de l’Education nationale http://s.huet.free.fr/ Francis Jeanson, philosophe, Claouey, 33. Michel Jarrety, professeur de littérature française à la Sorbonne. Denis Kambouchner, professeur de philosophie, Paris I. Jeanine de Lara, psychanalyste. Marc Le Bris, directeur d’école, Médréac, 35. Franck Leprevost , professeur des Universités, Théorie des Nombres, Grenoble, Berlin http://www.math.tu-berlin.de/~leprevot/ Bruno Lussato (coauteur avec F. de Closets de L’imposture Informatique). Michel Mendès France, professeur des Universités, A2X, Université Bordeaux I, Talence, 33. Hélène Merlin, professeur de littérature française à l’Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle. Henri Mitterand, professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle. Gilbert Molinier, professeur de philosophie, Lycée Auguste Blanqui, Saint-Ouen, 93. Denis Monasse, ancien président de l’UPS, professeur de mathématiques spéciales, Lycée Louis le Grand, Paris. Benoit Montessinos, professeur agrégé au collège Les trois Vallées, La Voulte sur Rhône. Webmaster de La Casemath : http://www.casemath.net, Sesamath, Ebeps. Marcel Morales, professeur des Universités, IUFM de Lyon http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/~morales/ Colette Ouzilou, orthophoniste, auteur de Dyslexie, une vraie fausse épidémie. Olivier Pascault, membre de l’UPRES-A 8004, « Philosophie Politique contemporaine », CNRS / ENS LSH, rédacteur en chef de « Place aux Sens ». Jean-Claude Pecker, Professeur honoraire au Collège de France, Membre de l’Académie des sciences. Henri Pena-Ruiz, professeur de philosophie au Lycée Fénelon et maître de conférences à l’I.E.P. de Paris. Christian Radoux, Théorie des Nombres – Université de Mons http://users.skynet.be/radoux Robert Redeker, agrégé de philosophie, membre de la revue « Les Temps Modernes » Henri Roudier, agrégé de mathématiques, CPGE , lycée Henri Moissan, Meaux Laurent Schwartz, mathématicien, médaille Fields 1950 Michel Serfati, professeur de mathématiques, docteur en philosophie LIAFA CNRS UMR 7089 Paris 7 Denis Diderot. Gilles-Olivier Silvagni, psychanalyste. Marc Terrades, professeur de philosophie hors classe, doctorant en Littérature comparée, Lycée Victor Louis de Talence, 33. Laurent Tsang, professeur agrégé de mathématiques, Lycée François Villon, 75. Joseph Urbas, maître de conférences en littérature américaine, Université de Bordeaux. Pierre Vidal-Naquet, Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris. Gérard Vinel, PRAG, Analyse et Géométrie complexes, U.J.F Institut Fourier, UMR 5582 du CNRS.André Warusfel, mathématicien.

Quelques signataires hors de France :

AHARONI Ron (Professor of Mathematics, Technion) – Israel ASKEY Richard (Prof. of Mathematics, University of Wisconsin) – United States BRAAMS Bastiaan J. (Researcher, physics / mathematics, Courant Institute, New York University) – United States BRADEN Lawrence (Mathematics Instructor, St. Paul’s School) – United States DANCIS Jerome (Associate Professor Emeritus of Mathematics, University of Maryland) – United States GARDINER Tony (Reader in Mathematics and Mathematics Education, University of Birmingham) – United Kingdom GOLDMAN Madge (president, Gabriella & Paul Rosenbaum Foundation) – United States JIMMY Kilpatrick (Editor, EducationNews.org) – United States KLEIN David (Professor of Mathematics, California State University, Northridge) – United States KUTATELADZE Semen (Mathematician, Sobolev Institute of Mathematics) – 159 MARKS John (Physicist) – United Kingdom MAROIS Alain (Enseignant et vice-président de l’Alliance des professeurs de Montréal) – Canada MILGRAM R James (Mathematician, Stanford University) – United States MULROY David (Professor of Classics, University of Wisconsin) – United States OCKEN Stanley (Professor of Mathematics, The City College of New York) – United States PHELPS Richard P. (economist, Education Consumers Network; Professeur de Mathematiques, United States) QUIRK William (Mathematics Education Consultant) – United States RAIMI Ralph (Mathematician, University of Rochester) – United States ST-GERMAIN Pierre (Enseignant , Président de l’Alliance des professeurs de Montréal) – Canada TOOM Andre (professor of mathematics, Federal University of Pernambuco) – Brazil VIEN Danielle (enseignante et vice-présidente, Alliance des professeures de Montréal) – Canada WILSON W Stephen (Professor and past Chair of Mathematics, Johns Hopkins University) – United States WU Hung-Hsi (Professor of Mathematics, University of California at Berkeley) – United States ZELIGER George (Applied mathematician/ statistician, Massachusetts Department of environmental Protection) – United States