Pourquoi ont-ils (re-)tué Jaurès ?

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Catherine Huby répond à sa manière à cette question sur son blog Bienvenue chez les P’tits , et nous ne pouvons que souscrire à ses propos.

Notre ministre a cependant cru bon justifier la suppression des passages de la lettre de Jaurès :  «  … c’était une suggestion pédagogique pour aller aux choses qui ne sont pas anachroniques … ».

 

En effet, 132 ans plus tard, la situation a bien changé :

« Il faut d’abord que vous appreniez aux enfants à lire avec une facilité absolue, de telle sorte qu’ils ne puissent plus l’oublier de la vie et que, dans n’importe quel livre, leur œil ne s’arrête à aucun obstacle. Savoir lire vraiment sans hésitation, comme nous lisons vous et moi, c’est la clef de tout. Est-ce savoir lire que de déchiffrer péniblement un article de journal, comme les érudits déchiffrent un grimoire ? J’ai vu, l’autre jour, un directeur très intelligent d’une école de Belleville, qui me disait : « Ce n’est pas seulement à la campagne qu’on ne sait lire qu’à peu près, c’est-à-dire point du tout ; à Paris même, j’en ai qui quittent l’école sans que je puisse affirmer qu’ils savent lire. Vous ne devez pas lâcher vos écoliers, vous ne devez pas, si je puis dire, les appliquer à autre chose tant qu’ils ne seront point par la lecture aisée en relation familière avec la pensée humaine.» écrivait Jean Jaurès en 1888 …

 

Qui peut dire que ce constat et cette injonction qui en découle ne soient plus d’actualité ? L’opposition Paris – campagne n’est plus la même, mais le drame de notre école ne se résume-t-il pas à son l’incapacité d’accomplir cette mission ?

Accordons à notre ministre que la suite soit anachronique :

« Qu’importent vraiment à côté de cela quelques fautes d’orthographe de plus ou de moins, ou quelques erreurs de système métrique ? Ce sont des vétilles dont vos programmes, qui manquent absolument de proportion, font l’essentiel. »

 

Nous ne doutons pas que, parmi les enseignants contemporains de Jaurès, certains ressemblaient à ces idiots qui regardent le doigt du sage au lieu de contempler la lune que celui-ci désigne : orthographe et système métrique ne servent qu’à orienter le regard vers la connaissance. Aujourd’hui, le doigt est coupé : d’autres ont imaginé que la lune serait bien plus visible une fois celui-ci amputé. On ne compte plus les fautes d’orthographe et l’enseignement du système métrique est réduit à une peau de chagrin.

Le certificat d’étude n’existe bien sûr plus depuis longtemps mais la batterie d’évaluations par compétences qui lamine le parcours scolaire de nos élèves ne mérite-t-elle pas bien davantage cette exaspération de Jaurès :

« Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! »

 

Monsieur le Ministre, n’êtes-vous pas aujourd’hui le meilleur représentant de ceux qui sacrifient la réalité à l’apparence ?

Pascal Dupré