Portrait d’école : Robert Glasman

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Nous avons rencontré Robert Glasman qui travaille aujourd’hui à la rédaction d’un manuel d’histoire pour le primaire. Les éléments considérables qu’il a déjà accumulés constituent une base très sérieuse de programme scolaire, qui a attiré toute notre attention. Il a accepté de répondre aux questions de nos « Portraits d’école ».

– Robert Glasman, pouvez-vous résumer votre carrière en quelques lignes et dire quelles ont été vos plus grandes satisfactions ?

Je suis né à Toulouse où mes parents, venant de Paris, s’étaient établis après la Seconde Guerre mondiale, en raison des difficultés économiques de l’immédiate après-guerre. Ils étaient artisans.

J’ai fait des études d’histoire, avant de passer le concours de l’École normale d’instituteurs. Je n’avais pas trop insisté sur le CAPES du second degré. La situation économique familiale était précaire, et être instituteur me permettait de rester auprès de ma famille. Quand, habitant le Midi, on obtenait le CAPES, on était immanquablement nommé dans une académie déficitaire du nord de la Loire. Le recrutement des instituteurs était, à l’époque, départemental.

Mon père était un immigré d’avant la Seconde Guerre mondiale. Ma mère était née en France, mais ses parents étaient aussi immigrés. Elle avait obtenu son certificat d’étude juste avant la guerre, puis avait étudié la dactylographie afin de travailler pour aider sa famille. Elle était très bonne en français. Elle connaissait bien Zola, récitait Musset, Richepin. Son écrivain préféré était Colette. Mon père, qui n’avait pas encore la nationalité française à la déclaration de guerre, s’était engagé, pour lutter contre le nazisme, dans les régiments de volontaires étrangers de l’armée française. Il est resté cinq ans prisonnier en Allemagne. La voie de l’enseignement était facile à emprunter pour un enfant de milieu modeste et devenir enseignant était une promotion. Mais c’était aussi une manière de reconnaissance envers le pays d’accueil. Mes parents admiraient la culture française. Les enseignants étaient très respectés à l’époque. Mais surtout, j’aimais apprendre, et je crois que lorsqu’on aime apprendre soi-même, on aime apprendre aux autres.

Ma plus grande satisfaction est d’avoir su trouver des voies pour faire véritablement progresser mes élèves. Je ne me suis pas laissé enfermer dans la doxa pédagogique, dont je me suis vite rendu compte, en début de carrière, qu’elle était désastreuse si l’on voulait instruire correctement.

J’ai eu de grands plaisirs :

D’abord celui de faire réussir certains élèves là où ils avaient échoué auparavant. J’ai ainsi appris à lire, ou montré le chemin de la lecture à des élèves qui n’y étaient pas parvenus en cours préparatoire, et qui pouvait traîner ce handicap encore en cours moyen.

J’ai également montré qu’il était possible d’apprendre aux élèves des choses que j’avais moi-même apprises enfant, dans l’école des années 60, et qu’on ne faisait plus. Par exemple : la technique française traditionnelle de la division, les différents accords du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir, ou encore certaines conjugaisons.

J’ai aussi obtenu des victoires sur moi-même, en réussissant dans des domaines où je n’avais pas de compétences ou d’attirances au départ, tels les sciences et les arts plastiques. En sciences, je suis fier de notre fabrication d’un système d’alarme solaire, pour lequel j’ai dû apprendre, en particulier, ce qu’était un transistor. Une autre fois, nous avons reproduit le système planétaire solaire à l’échelle en diamètres et distances. Nous avons eu besoin de toute la longueur de la cour pour déployer notre dispositif ! En arts plastiques, j’ai dû me familiariser avec les peintures, les craies, les encres, les fusains, les papiers, les cartons. Nous étions fiers des œuvres affichées dans la classe et les couloirs.

 Je garde aussi un beau souvenir d’une mise en scène de la poésie de la Fontaine, Le Chêne et le Roseau, lors d’une fête de fin d’année. Les élèves, déguisés, étaient accompagnés par une élève flûtiste, pour qui un parent compositeur avait écrit une musique. Bruitages et appeaux créaient une belle atmosphère.

Enfin, il y avait le plaisir de pouvoir réinvestir mes passions, comme la musique. J’ai ainsi animé des chorales d’école, que je faisais accompagner de musiciens quand c’était possible.

Ma plus grande victoire a été, une année, de voir la totalité de mes élèves de cours préparatoire réussir des évaluations officielles de lecture particulièrement fiables, puisqu’elles étaient prises en charge par les collègues du Réseau d’aide. Les résultats avaient été médiocres au niveau national. J’avais montré que l’on pouvait apprendre à lire à bien plus d’élèves que d’ordinaire.

 

– J’ai entendu beaucoup de noms pour désigner les instituteurs qui ont suivi des démarches similaires à la vôtre : réactionnaires, déclinistes, blouses grises, lanceurs d’alerte, résistants, hussards noirs, anti-pédagogistes, pédagogues … lesquels retiendriez-vous parmi ceux-là ? En préférez-vous un autre ?

Réactionnaire ? non. J’ai mené suffisamment de réflexions historiques, dans le cadre de mes études, pour savoir que l’on ne revient jamais en arrière. Le temps est irréversible, ce qui arrive est toujours nouveau. Je ne suis pas davantage un adepte du progressisme, selon lequel tout pas en avant est nécessairement un pas dans la bonne direction.

Je ne dis pas « C’était mieux avant », ni « Ce n’était pas mieux avant ». Je me considère plutôt comme un conservateur, désireux de garder du passé ce qu’il pouvait avoir de bon. Albert Camus l’a magnifiquement exprimé dans son discours de Stockholm de 1957 :

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. »

Décliniste ? Oui, j’assume le terme, même s’il est péjoratif.

Blouse grise ? Pourquoi grise ? Il existe des blouses de diverses couleurs !

Lanceur d’alerte ? Ne m’ont jamais entendu que ceux qui avaient déjà fait le même constat que moi.

Résistant ? Oui, pleinement. J’ai voulu résister à l’innovation érigée en système, à l’injonction de « se remettre en cause », et ce au prix de l’instruction.

Hussard noir ? Le terme, forgé par Charles Péguy dans L’Argent en 1913, fait référence à l’uniforme noir, comme celui des hussards, des élèves-­‐instituteurs qu’il avait connus, écolier, à l’école annexe de l’École normale de garçons, aux débuts de la Troisième République. Des élèves-­maîtres de dix‐sept à vingt ans, des « nourrissons de la République », reconnaissables aussi aux palmes violettes de l’enseignement primaire. Cet uniforme civil, dit Péguy, était une « sorte d’uniforme militaire encore plus sévère, encore plus militaire, étant un uniforme civique. » Cet uniforme incarnait le civisme de ces futurs maîtres d’école, « sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence.» « Ces instituteurs étaient sortis du peuple, fils d’ouvriers, mais surtout de paysans et de petits propriétaires. Ils restaient le même peuple, seulement un peu plus aligné, un peu plus rangé, un peu plus ordonné dans ces beaux jardins de maisons d’école. ».

C’est à ces Hussards noirs que Jules Ferry avait assigné la mission de « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui vient de la naissance, l’inégalité d’éducation ». Je me revendique en partie de cet héritage. Je ne retiens pas certaines valeurs assignées à l’école de la Troisième République, en particulier son nationalisme, mais je partage sa volonté d’instruire le peuple. Le monde des Hussards noirs a disparu, mais nous pouvons nous inspirer d’une partie de leurs idéaux.

Anti-pédagogiste ? Le pédagogisme est la pédagogie dévoyée. La tentation du pédagogisme est de faire de la pédagogie une fin en soi, au risque d’oublier que la réflexion pédagogique doit être mise au service de la transmission des savoirs. Le pédagogisme s’intéresse davantage à la forme qu’au contenu, à l’intention qu’au résultat. Or, ce qui m’intéresse est que l’élève apprenne correctement. Si je réussis, je ne veux pas être jugé sur la façon dont je le fais. Je ne tiens pas à ce que l’on m’impose des procédures stériles. En ce sens, je suis effectivement anti-pédagogiste.

 Pédagogue ? Je ne suis pas pédagogue, je suis instituteur, c’est-à-dire, selon l’origine latine du mot, un « fondateur », une personne qui « institue ». Être pédagogue n’est pas une profession. Pour en revenir à l’étymologie grecque du mot, elle est la « direction, l’éducation des enfants ». La pédagogie n’est pas une science, il n’existe pas de lois pédagogiques à trouver et à appliquer. Je dirais plutôt qu’elle relève de l’artisanat. La pédagogie se vit, elle est l’acte même d’enseigner. Le pédagogue qui n’enseigne pas est un pédagogiste, un Tartuffe de l’enseignement.

 

 –  De quoi avez-vous le plus souffert ? Qu’est qui a été le plus difficile ? Quels sont vos plus grands regrets ?

J’ai commencé par être nommé sur des postes de non-titulaire, puis je suis devenu brigade de remplacement. J’ai ensuite obtenu une classe où je suis resté plus d’une dizaine d’années. Après, j’ai tourné sur quelques postes. Et puis, en milieu de carrière, fort de mon expérience, j’ai eu envie de bouger, et j’ai fait ZIL de remplacement en zone rurale. Enfin, j’ai terminé dans une école proche de mon domicile. Je suis maintenant à la retraite depuis 2 ans.

Ce dont j’ai le plus souffert est d’avoir été entravé dans l’orientation que j’aurais souhaité donner à mon travail. J’aurais aimé échanger et partager davantage, afin que l’on puisse avancer à plusieurs dans la même direction, mais mes méthodes et mes objectifs différaient trop de ceux alentours. Et je ne pouvais faire autrement que d’utiliser, le plus souvent, des manuels médiocres.

Le plus difficile a été de me sentir isolé. Bien sûr, j’ai croisé des collègues qui faisaient le même constat que moi d’une faillite globale de l’enseignement, mais il était impossible de s’opposer au déclin. La vague pédagogiste était trop forte. C’était très décourageant.

Je n’ai pas de regrets, je pense avoir fait ce que j’avais à faire. Je trouve amusant qu’au plus fort de la vague pédagogiste, alors que pesait sur nous l’injonction de nous « remettre en cause », je me suis effectivement remis en question, mais pas dans la direction que l’institution espérait : face à l’échec du constructivisme, je me suis tourné vers le passé, vers l’héritage républicain dont j’avais moi-même bénéficié quand j’étais écolier dans les années 60. J’ai tenté de rendre mon enseignement plus efficace. Il ne s’agissait pas de récolter cet héritage tel quel, car il avait aussi des défauts, mais il était possible de s’en inspirer.

 

– Quels devraient être, selon vous, les objectifs prioritaires de l’école ? Quelle est leur place dans le système actuel ?

Il faudrait restaurer le statut d’une école qui instruise avant tout, fixer davantage d’exigences dans le domaine des savoirs. J’ai vu, en une trentaine d’années, le niveau scolaire beaucoup régresser, avec, de surcroît, un accroissement des écarts entre les élèves.

On insiste beaucoup, aujourd’hui, sur l’école « lieu de vie », où il faut « apprendre à vivre ensemble ». Mais réfléchit-on vraiment aux conditions qui assureraient une bonne instruction à l’école ?

L’école comme lieu d’enseignement collectif s’est abandonnée, au profit d’un enseignement qu’on voudrait davantage personnalisé. Or la force de l’école réside dans l’enseignement collectif, dans l’échange et l’émulation qu’il permet. C’est ainsi qu’on voit se répandre, depuis quelques années, la pratique du « plan de travail ». Je lis sur le site de l’Académie de Paris qu’il « s’agit d’activités que l’élève est en mesure de faire seul, en autonomie, afin qu’il consolide des notions déjà vues et/ou qu’il acquière des méthodes de travail. Les élèves n’ayant pas tous les mêmes besoins, chacun aura ses travaux spécifiques. Le plan de travail peut relever du contrat (négocié) si l’élève est amené à s’engager sur des tâches à accomplir dans un temps défini. »

Dans cette perspective, on n’apprend plus ensemble. La classe est réduite à une structure atomisée d’élèves censés chacun travailler à leur rythme. Le maître est alors relégué à la fonction de personne « ressource », dans la seule relation individuelle. La classe existe-t-elle encore, ici ? D’autant plus que ce système du plan de travail peut s’avérer inadapté pour beaucoup. Je me souviens d’un long remplacement, effectué dans une classe qui le pratiquait. Des élèves n’arrivaient pas à se mettre au travail tout seuls, à effectuer des recherches, à s’organiser. Il y avait de gros écarts entre eux. Chacun venait me voir, à des étapes différentes de leur plan, et je devais à chaque fois recommencer les explications. Au bout de quelque temps, j’ai tout arrêté. J’avais l’impression de délivrer une série ininterrompue de cours particuliers. On ne pouvait pas penser en commun, chacun était replié sur lui-même. J’ai mis en place un emploi du temps rigoureux. J’ai mené des leçons collectives, avec applications et corrections immédiates. Une dynamique de classe s’est instaurée, un sentiment d’apprendre ensemble a émergé, la classe est de suite devenue plus homogène. Des élèves qui ne faisaient rien ou pas grand chose, qui restaient isolés dans le système du plan de travail, ont raccroché les wagons. Une élève qui ne faisait quasiment rien s’est retrouvée en tête de classe !

On demande aux enseignants d’effectuer un travail différencié, adapté à certains élèves ou groupes d’élèves. Or, comme le dit le psychologue Daniel Willingham dans son ouvrage Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école ? : « Les enfants sont plus semblables qu’ils ne sont différents dans leur façon de réfléchir et d’apprendre. » Et puis, c’est matériellement impossible pour l’enseignant de préparer tant de travaux différents pour ses élèves. C’est cette capacité à penser ensemble que l’école peut mettre à profit. La classe doit former une unité, c’est pour cela qu’elle a été organisée par classes d’âges : on doit avancer, progresser de conserve. Souhaite-t-on, par la différenciation à outrance, en revenir au préceptorat d’Ancien Régime ? Ce serait la mort de l’école.

 

– Pensez-vous qu’il soit encore possible d’agir au sein de l’éducation nationale ? Si oui, sur quels leviers : enseignants, parents, hiérarchie, politiques, associations, autres … ? Si non, sur quelle base peut-on envisager une refondation de l’instruction publique ?

 Je n’ai jamais eu l’impression de pouvoir faire quelque chose. Ainsi, lors de ces fameuses évaluations de lecture dont j’ai parlé plus haut, on aurait pu, au niveau de chaque circonscription, recenser toutes les classes qui avaient obtenu 100 % de réussite, et demander aux maîtres d’exposer à leurs collègues leurs façons de procéder. Mais rien n’a été fait. Il y a eu une levée de boucliers, et tout a continué comme avant, les pratiques n’ont pas évolué. Tout était verrouillé, on ne pouvait résister qu’individuellement.

 

– Sur quelles bases envisager une refondation ?

Les programmes devraient être étoffés, et il faudrait revenir aux 27 heures de cours pour tous les élèves. Dans les années 60, nous fréquentions l’école 30 heures par semaine. Ce n’est sûrement plus possible aujourd’hui, mais on ne peut acquérir de bonnes compétences sans connaissances suffisantes.

Au fil des années, la capacité de lecture courante s’est dégradée. On a maintenant affaire à une prolifération de diagnostics de dyslexie. En réalité, le phénomène était rare il y a quelques dizaines d’années. La cause en incombe aux mauvaises façons d’enseigner la lecture. Seules les méthodes alphabétiques d’apprentissage de la lecture sont efficaces.

Il faudrait rompre avec le constructivisme dominant qui postule que l’enfant doit « construire son propre savoir », et que le maître ne doit pas transmettre « verticalement » les savoirs, dans une relation où l’élève est « passif ». Une telle vision de l’enseignement est caricaturale. Sous prétexte de libérer l’élève, de le rendre autonome et acteur de son apprentissage, elle le laisse démuni et sans appétence. J’ai constaté, depuis une trentaine d’années, un désintérêt croissant des élèves pour les apprentissages, une perte de motivation. Et plus on veut les rendre autonomes, moins ils le deviennent.

Ne nous illusionnons pas sur la capacité des jeunes enfants à découvrir, seuls ou en groupes, les notions. Ils n’ont ni les connaissances, ni la maturité, ni l’expérience pour raisonner comme des experts, de manière abstraite. Daniel Willingham le dit encore : « Les élèves sont capables de comprendre des connaissances, mais pas d’en créer. »

L’enseignement devrait être davantage explicite, basé sur la leçon structurée, à travers un aller-retour permanent entre le maître et les élèves. La leçon doit s’articuler autour d’exemples expliqués et commentés, suivis d’exercices permettant à l’élève de mesurer son degré de compréhension.

 J’ai quelquefois entendu que l’élève devait « apprendre à apprendre », et que les bénéfices en seraient recueillis plus tard. Malheureusement, les résultats observés ultérieurement au collège ne plaident pas en faveur d’une telle prémisse. Quand on apprend à apprendre, on n’apprend rien.

On gagnerait également à introduire davantage de démocratie dans la formation des maîtres, afin que ceux-ci puissent échanger librement au sujet de leurs méthodes, sans craindre la stigmatisation ni les attaques. La liberté pédagogique doit être défendue. Chaque maître devrait pouvoir choisir le manuel qui lui convient, sans pression exercée à son encontre, au prétexte « d’harmoniser les outils ». L’année des évaluations de CP dont j’ai parlé précédemment, je venais d’arriver dans l’école, et la directrice m’a harcelé pour que je choisisse la même méthode de lecture que ma collègue, une méthode globale. Constatant que je n’arriverais pas à travailler librement, j’ai demandé une délégation à mon inspectrice, en vue de changer d’école. Celle-ci m’a bien sûr demandé des explications, et je lui ai exposé ma façon de travailler. Elle m’a alors fait confiance, et j’ai obtenu la réussite que l’on sait. Ce genre de situation ne devrait pas se produire.

Je serais aussi favorable à l’instauration d’un examen de lecture en fin CP, et d’un autre examen général pour entrer au collège. Je me souviens d’une ancienne maîtresse qui racontait qu’elle avait une fois ramené au CP un élève qui ne savait pas lire à l’entrée de son CE1. Ce serait impensable aujourd’hui. Les anciens disaient aussi combien les inspecteurs de l’époque étaient très soucieux du niveau scolaire des élèves. Je n’envisage pas d’autres moyens que des examens pour en finir avec les discussions pédagogiques stériles. Nous pourrions alors entamer une réflexion sérieuse sur l’efficacité de notre travail. Encore une fois, je considère que le métier d’instituteur est d’instruire les élèves.

 

 – Quels conseils donneriez-vous aux jeunes enseignants ? aux jeunes parents soucieux de l’instruction de leurs enfants ?

Apprendre, c’est agencer patiemment et correctement des briques de savoir, afin de bâtir un édifice solide.

  • Grâce un enseignement structuré, les élèves acquièrent de la confiance. Les enfants ont besoin d’être rassurés par des résultats immédiats, qui les récompensent de leurs efforts. Il ne faut pas les laisser dans le flou et l’incertitude.
  • Il est bon de varier les situations d’apprentissages, afin de stimuler l’attention et offrir divers ancrages.
  • Il faut éviter les abstractions avec lesquelles les enfants ne sont pas à l’aise, ils préfèrent les situations concrètes.
  • Pour fixer les connaissances, les élèves doivent s’entraîner suffisamment, faire beaucoup d’exercices.
  • Expliquez aux élèves que la compréhension d’une chose peut être lente, qu’il faut être patient, persévérant, concentré, appliqué.
  • Rassurez-les sur leurs échecs, ils sont la condition inévitable des bons apprentissages.
  • Complimentez les efforts plutôt que les capacités. Celles-ci ne servent pas à grand-chose si elles ne sont pas développées par le travail.
  • J’invite les jeunes collègues et les parents à feuilleter, s’ils le peuvent, d’anciens manuels d’école primaire. Certes, tous ne se valent pas, mais il existe des merveilles. Voici quelques titres qui valent la peine, et dont certains étaient mes livres de classe, enfant : L’ Arithmétique de Courtet et Grill ; le Français unique de Dumas et Collin ; De l’image à la phrase de Bosc ; Le Français par l’usage de Ageorges et Anscombre ; l’Orthographe de Bled (dans sa version d’origine, et non celle, appauvrie, d’aujourd’hui) ; les romans scolaires Au Pays bleu d’Edouard Jauffret, et Le Voyage d’Edgar d’Edouard Peisson ; les Leçons de Choses de Godier et Moreau ; la Petite histoire de la France de Bernard et Redon ; la Géographie de François et Villin ; et bien d’autres encore.

En conclusion, je dirais que l’enseignement n’est pas une science. Enseigner demande d’être observateur, critique envers soi-même, méfiant vis-à-vis des gourous, et de se garder des effets de mode. Le maître d’école doit être animé de la volonté d’instruire ses élèves.

Je terminerai par un clin d’œil : détournant le titre du célèbre tableau d’Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, inspiré des Trois Glorieuses de 1830, je dirais de l’instituteur qu’il doit symboliser

« L’instruction guidant le peuple »