Il a souvent été question des « destructeurs de l’enseignement élémentaire » (Liliane Lurçat), des « assassins de l’école » (Carole Bargeon) mais peu connaissent ces enseignants du primaire qui, la plupart du temps dans l’anonymat, ont tenté de résister aux charges successives portées contre les fondements de l’instruction publique. Nous tenterons, à travers une série de « portrait d’école », de remédier à ce manque.
– M. MATTHIEU FAUCHER, pouvez-vous résumer votre carrière en quelques lignes et dire quelles ont été vos plus grandes satisfactions ?
Je suis professeur des écoles depuis vingt ans, j’ai principalement travaillé en milieu rural dans le département de l’Indre. J’aime passionnément mon métier même si celui-ci se révèle de plus en plus difficile à exercer. Ma carrière s’est déroulée de manière normale (je ne dis pas « tranquille » parce que ce métier ne l’est jamais) jusqu’en janvier 2017, lorsque j’ai été brutalement suspendu de mes fonctions puis sanctionné par ma hiérarchie, accusé de prosélytisme religieux pour avoir fait étudier à mes élèves de CM2 des extraits de la Bible.
En janvier 2021, la Justice a annulé la sanction qui m’avait visé. Les juges ont estimé que je n’avais commis aucune faute professionnelle, que ma séquence composée d’extraits bibliques était pertinente, sans excès dans sa durée, adaptée à l’âge de mes élèves et surtout parfaitement conforme aux programmes de l’école primaire. En outre, il est établi que je n’ai en rien contrevenu à mes obligations de neutralité et de laïcité. Bref, la Cour a intégralement balayé les accusations de l’ancien directeur académique de l’Indre, de la rectrice de l’académie Orléans-Tours et de M. le ministre lui-même. Pour répondre à votre question, voilà ma plus grande victoire. Mais impossible pour moi de retourner à la « vie d’avant », cette histoire m’a marqué à jamais. J’ai pris des responsabilités dans le syndicat de l’enseignement Action&Démocratie CFE-CGC, je fais profiter de mon « expérience » des collègues en difficulté avec l’Éducation nationale et Dieu sait qu’il y en a !
– J’ai entendu beaucoup de noms pour désigner les instituteurs qui ont suivi des démarches similaires à la vôtre : réactionnaires, déclinistes, blouses grises, lanceurs d’alerte, résistants, hussards noirs, anti-pédagogistes, pédagogues … lesquels retiendriez-vous parmi ceux-là ? En préférez-vous un autre ?
Je ne crois pas pouvoir entrer dans une de ces cases. Mes méthodes d’enseignement puisent dans des sources diverses : si j’ai un côté « rétro » assumé (autorité ferme de l’enseignant, lecture des « classiques », notation à l’ancienne, costume cravate…), on peut tout autant me qualifier de « pédagogiste » tant je favorise le travail de groupe, la coopération entre élèves, l’interdisciplinarité ou encore le recours au théâtre et au chant dans les apprentissages… Peu importe la méthode utilisée, la liberté pédagogique des enseignants est sacrée pour moi et doit être garantie. Seul compte le résultat : ce que l’on a transmis concrètement à nos élèves.
– Quels devraient être, selon vous, les objectifs prioritaires de l’école et quelle est leur place dans le système actuel ?
Le rôle prioritaire de l’école est de transmettre le savoir et la culture. Je fais mienne l’expression « des racines et des ailes » car c’est, à mon sens, ce que les enfants sont en droit d’attendre de l’École. Pour que cette transmission soit possible, il faut que l’enseignant soit en mesure de travailler dans de bonnes conditions : des effectifs raisonnables, de la discipline et une relative homogénéité des élèves. Nous prenons le chemin exactement inverse depuis une vingtaine d’années. D’abord, les effectifs sont très lourds dans de nombreuses classes : comment une maîtresse d’école maternelle peut-elle pratiquer le langage oral avec trente élèves ? Ensuite l’indiscipline qui règne dans un nombre colossal d’établissements scolaires, l’impunité quasi-garantie des élèves perturbateurs, le phénomène « pas-de-vague », bien connu des enseignants. Tout cela constitue un frein radical à la transmission des savoirs. Favoriser la discipline dans les classes : là devrait être le chantier prioritaire de tout ministre de l’Éducation qui se respecte. Enfin « l’école inclusive », louable dans son principe mais gérée en dépit du bon sens, se révèle préjudiciable à tous, enseignants et élèves, y compris ceux en situation de handicap. Il faut revenir sur cette folie et admettre que si tous les enfants ont droit à l’éducation, tous ne peuvent pas être inclus dans une classe « ordinaire ».
– Pensez-vous qu’il soit encore possible d’agir au sein de l’éducation nationale ? Si oui, sur quels leviers : enseignants, parents, hiérarchie, politiques, associations, autres … ? Si non, sur quelle base peut-on envisager une refondation de l’instruction publique ?
J’y crois en effet puisque j’ai rejoint une organisation syndicale qui tente d’influer sur les politiques ministérielles. Nous sommes extrêmement sévères sur le bilan de Jean-Michel Blanquer au Ministère, et sans même aborder la gestion de la crise sanitaire : destruction du Baccalauréat, dégradation de la formation, école « inclusive », revalorisation salariale fantôme, recours massif au travail contractuel… Il aura réussi à faire pire que ses prédécesseurs – c’est dire – et à faire l’unanimité contre lui. Une unanimité qui n’est que de façade : A&D CFE-CGC a beaucoup de divergences avec les organisations actuellement majoritaires et nous espérons bien convaincre de nombreux collègues de nous rejoindre. Un renouveau du syndicalisme enseignant, voilà à mes yeux le seul espoir de faire changer les choses et de sauver ce qui peut encore l’être.
– Quels conseils donneriez-vous aux jeunes enseignants ? aux jeunes parents soucieux de l’instruction de leurs enfants ?
Transmettre est une mission commune aux parents comme aux enseignants. Je leur dis donc : « Transmettez, soyez des « passeurs de culture », apprenez aux jeunes d’où ils viennent, l’histoire du pays dans lequel ils vivent, racontez-leur les histoires qui ont bercé les Européens pendant des siècles, montrez-leur les cathédrales, les enluminures médiévales, faites-leur écouter la musique de Bach et les vers de Rimbaud». Connaître sa culture n’empêche pas de s’ouvrir aux autres, c’est même justement le contraire. « Comment accueillerons-nous l’étranger si à nous-mêmes nous sommes devenus étrangers ? » disait Dominique Ponnau, l’ancien directeur de l’École du Louvre.
Je conseillerais aussi ceci : «Ne vous laissez pas abuser par la course folle au tout-numérique ; il s’agit non d’une fin mais d’un moyen à utiliser avec parcimonie dans le cadre des apprentissages. L’abus d’écran, comme tous les abus, est préjudiciable (fatigue, manque de concentration, inertie, surpoids…) à la santé, comme à l’instruction». Parents et enseignants ont le devoir de préserver le cerveau des enfants.
Enfin, soyez exigeants autant que patients et bienveillants. Tous les enfants sont différents mais tous ont envie d’apprendre. Chaque heure passée à instruire est une petite victoire contre l’ignorance et la médiocrité, qui, malgré tout, n’ont de cesse de progresser, tant elles ont de puissants auxiliaires médiatiques.
Mon arrière-grand-père, instituteur très apprécié, entendit un jour un de ses élèves dire à ses parents : « Avec M. Faucher, je comprends toujours tout ». Quel plus beau compliment peut recevoir un enseignant ?
Matthieu Faucher,
Professeur des écoles
Référent national pour les professeurs des écoles au syndicat Action&Démocratie CFE-CGC