Pour expliquer les difficultés rencontrées par parents et enseignants, certains symptômes psychologiques manifestés par les enfants sont de plus en plus souvent mis en avant. À la kyrielle croissante des « dys- » (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie ….) s’est ajoutée une nouvelle étiquette pour diagnostiquer des troubles qui se développent en mode épidémique : les troubles du déficit de l’attention et hyperactivité, TDAH. Il ne s’agit bien sûr pas de minimiser la détresse des parents, ni le désarroi des professeurs face à de tels cas, mais de s’interroger sur la réalité « épidémique » du phénomène. L ’orthophoniste Colette Ouzilou, l’a fait en 2001 dans son livre : La dyslexie, une vraie-fausse épidémie (Presses de la Renaissance, 2001). Aujourd’hui c’est, François Gonon, neurobiologiste spécialiste des TDAH qui vient d’écrire « Neurosciences : un discours néolibéral ? » et il fait un constat équivalent :
Concernant l’école, on observe que les inspections académiques diffusent de plus en plus souvent des informations à tonalité médicale concernant le TDAH. Les enseignants, les psychologues et les médecins scolaires sont invités à participer au dépistage des enfants en difficulté d’apprentissage et soupçonnés de souffrir du TDAH. De fait, il est frappant de constater que les risques d’échec en CP sont les mêmes que pour le TDAH : être un garçon plutôt qu’une fille, être né en décembre plutôt qu’en janvier et vivre dans une famille défavorisée (fname, 2012). Selon mon hypothèse, il est particulièrement séduisant pour l’Éducation nationale de considérer que les enfants en échec scolaire le sont en raison de problèmes neurologiques d’origine génétique. Ainsi, la responsabilité de l’échec est entièrement reportée sur l’enfant et c’est à la médecine de trouver des solutions. L’institution scolaire évite ainsi de se remettre en question et d’envisager que ses méthodes d’enseignement pourraient contribuer aux difficultés si souvent rencontrées par les garçons issus de familles défavorisées (ibid.).
Nous avons interrogé à ce propos Viviane, professeur des écoles qui nous a fourni ce témoignage :
Je ne connais pas François Gonon mais il est vrai que je rencontre de plus en plus souvent dans les classes des enfants étiquetés TDAH. Ou alors ils sont « hyper sensibles ». Ce qui ne veut pas dire grand-chose, je trouve. Et puis il y a aussi tout le bataillon des dys-. J’étais dans un CM2, le mois dernier. Les dys- représentaient 7 élèves sur 28. C’était donc le bal des enfants qui vont chez l’orthophoniste chacun à leur tour. J’ai l’impression que ce discours médical rassure autant les parents que l’institution.
Parfois j’ai du mal à comprendre comment on en arrive là. L’année dernière, j’ai eu un élève au CP (du mois de décembre) dit TDAH qui allait au CPEA (centre psycho-pédagogique pour enfants et adolescents) deux fois par semaine pour traiter ses troubles. En maternelle, il piquait des crises de nerfs abominables et il pouvait se mutiler. Je n’ai rien fait de spécial pour lui parce que je n’ai reçu aucune formation d’enseignant spécialisé. Je fais avec ce que je sais faire. Je me suis comportée comme d’habitude : de l’exigence, du travail, mais aussi beaucoup de patience et de gentillesse (oui, oui, j’en suis capable).
En un an, je ne l’ai jamais vu piquer la moindre crise et le dispositif CPEA à considérablement été allégé en fin d’année (une fois par quinzaine au lieu de deux fois par semaine). Il était excellent en mathématiques et il a appris à lire à toute allure.
Et au CM2, cette semaine, je n’ai pas voulu faire de dictée adaptée pour les dys. Ça consiste à leur donner le texte de la dictée avec des trous où ils ont seulement à écrire quelques mots manquants. Par contre, mardi et jeudi, nous avons super bien préparé la dictée. Nous avons revu toutes les règles, je leur ai montré tous les pièges à éviter. Zéro photocopie. Ils ont été obligés de tout copier : les leçons, les énoncés d’exercices… Et puis, je pense que le discours qu’on leur tient est important. J’essaie de marquer les esprits. Je leur dis, par exemple :
– À la maison, vous êtes des enfants. À l’école, vous êtes des élèves (et je leur explique quelle est la posture à adopter)
– Dans la vie, il faut partir gagnant. Ne baisse pas les bras- parfois, il faut travailler très dur pour y arriver. Personne ne travaillera à ta place. Etc.
Bon, hier, en dictée, ils ont presque tous fait zéro faute. Le pire résultat, c’était cinq fautes (là où l’élève ferait au minimum 25 fautes). Et là, je sors mes phrases fétiches :
– Tu vois, tu as eu bien raison de croire en toi. Et aussi :
– On n’est jamais à l’abri d’un miracle !
Et applaudissements de toute la classe pour les élèves rouges de plaisir d’avoir été en réussite.
Puisque rien ne vaut un esprit sain dans un corps sain, histoire de les mettre en condition tels des champions, je leur fais faire, avant de commencer le travail intellectuel qui demande de la concentration, des pompes, des squats et des jumping Jack. Et aussi du yoga sur chaise pour les étirer, les assouplir et soulager les tensions. Certains sont tellement raides et crispés. L’après-midi, à leur demande, nous avons organisé un tournoi de lutte. C’était vraiment bien !
Le discours que j’entends le plus lors de mes formations porte sur les discriminations dont souffriraient les filles, pauvres victimes des stéréotypes de genre, vu qu’elles sont (paraît-il) moins performantes en mathématiques. J’ai l’impression qu’elles sont regardées par le petit bout de la lorgnette, uniquement pour ce qui arrange l’institution.