Portrait d’école : Cécile Souvay

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 Cécile, pouvez-vous résumer votre carrière en quelques lignes ? Quelles ont été vos plus grandes satisfactions ?  

Après avoir enseigné en école primaire pendant plus de vingt ans, j’ai la joie, depuis 2019, d’être nommée directrice pédagogique d’un cours à distance. Mon parcours d’enseignante a débuté dans le domaine musical. Guitariste de formation, après avoir étudié la musique au conservatoire et à l’Université la Sorbonne, j’ai été nommée professeur de musique en primaire dans une école publique qui accueillait les gens du voyage. Ces enfants ne venaient que rarement en classe, ils ne savaient pas lire en CM, ce qui désespérait leurs professeurs. Au début, ils n’écoutaient pas, ils s’amusaient et démontaient les métallophones que la Mairie mettait à notre disposition pour les heures musicales. Il me fallait tenter une meilleure approche, je leur ai proposé de s’investir, de préparer eux-mêmes un concert. Je décidais de confier un instrument à ceux qui travailleraient pour préparer un concert. La confiance s’est installée, et c’est ainsi qu’après avoir tissé un lien entre nous, par l’intermédiaire de la musique, les élèves ont changé d’attitude et travaillaient avec joie. C’est cette satisfaction qui a fait naître en moi le souhait de devenir professeur des écoles pour tenter de leur donner le goût d’apprendre et les aider à progresser dans les matières essentielles.

Tout en reprenant un master, en sciences de l’éducation, afin de suivre la formation de professeur des écoles, je me suis tournée vers l’enseignement hors contrat pour être directement sur le terrain. J’eus alors la chance de travailler avec des manuels de qualité, classiques qui facilitaient la transmission. Gardant ce souvenir de l’investissement des enfants du voyage, proposer aux élèves un lien de confiance pour les conduire vers la joie d’apprendre s’imposait. Je regardais également régulièrement ce qui était proposé par l’Éducation nationale. Les manuels modernes, colorés et nombreux me tentaient, cependant, ils me tombaient malheureusement des mains car ils étaient certes attrayants, mais leurs contenus étaient bien pauvres. Je m’apercevais de la chance que j’avais de pouvoir travailler avec des supports à l’ancienne, de qualité, de bon niveau, comportant un cours clair, structuré avec des exercices d’application. Les manuels étant de qualité, il restait un souci : comment donner le goût d’apprendre aux moins scolaires, aux plus faibles ? Comment capter l’attention de tous les élèves afin que leurs yeux s’émerveillent.

J’ai trouvé la réponse en habillant ma classe d’un projet. Ce fut, par rapport à ces écoles hors contrat de qualité mais moins adaptées aux élèves en difficulté scolaire, une grande victoire. Chaque année je décidais de proposer à mes élèves un projet artistique. L’un d’eux fut de demander une classe à PAC, parrainée par Yves Duteil. Ce projet enchanta la classe entière. Les enfants enregistrèrent un CD et rencontrèrent le chanteur chez lui. Tout ce que nous abordions en classe était lié à ce projet, du français aux mathématiques, en passant par toutes les matières. Ce fut une autre grande victoire, car chaque élève arrivait en classe avec le sourire. Mais je me demandais comment chaque professeur pourrait donner cet élan aux élèves, sans pour autant se lancer dans un grand projet. La réponse était simple. Choisir un thème par semaine et relier toutes les matières à ce thème. Je l’expérimentais, plaçant sur mon bureau une figurine représentant le thème. Les élèves étaient ainsi attirés, curieux de connaître le thème de la semaine. Ce fut un succès, les enfants, dont les plus réticents au travail, attendaient les dictées, les lectures, les problèmes qui, grâce aux thèmes, prenaient vie. Les élèves les moins scolaires se retrouvaient mis en lumière puisqu’ils se chargeaient des discussions sur ce thème, du bricolage, des idées à mettre en place. Ils s’appliquaient à finir de leur mieux le travail demandé afin de s’occuper du thème. Ils travaillaient avec joie autant les mathématiques que le français, l’histoire, les sciences et les matières artistiques. Ce fut, avec tous les yeux émerveillés des enfants devant la nouvelle figurine trônant sur le bureau de la maîtresse, une troisième grande victoire.

Les plus grandes satisfactions d’un professeur sont d’une part de voir l’enthousiasme de l’apprentissage gagner tous ses élèves mais surtout de réussir à faire progresser chacun, là où il en est, avec ses dons et qualités propres et également ses difficultés. Voir le sourire et sentir la soif d’apprendre chez un élève dont la scolarité a été difficile furent mes plus grandes satisfactions.  

 

– On classe aujourd’hui les professeurs des écoles dans différentes catégories : les pédagogues, les progressistes, les anti-pédagogistes, les nostalgiques … dans laquelle vous situeriez-vous le mieux ?

Je retiendrai le pédagogue. Le professeur doit réinventer sa façon d’enseigner afin que les élèves trouvent et gardent le goût d’apprendre. Le pédagogue cherche à cultiver l’émerveillement, à s’adapter, à accompagner ses élèves vers de magnifiques cimes. La pédagogie est sans doute l’art de savoir captiver les élèves. Le bon pédagogue peut être comparé à un maître d’art (musicien, peintre…). Pour vous donner l’exemple d’un bon pédagogue, je vous invite à découvrir l’histoire du Vieux fou de dessin, un roman jeunesse de François Place qui l’illustre magnifiquement. Le vieux peintre Hokusaï, célèbre pour sa peinture de la vague et pour avoir inventé le manga, apprend à un jeune apprenti son art. Avant de lui transmettre les techniques, il montre au jeune apprenti comment s’émerveiller. Il lie le travail avec l’observation et le goût d’apprendre. Dans ce livre, Hokusaï est un pédagogue exceptionnel !

 

– De quoi avez-vous le plus peiné ?

Ce qui m’a le plus peinée, c’est la pauvreté des manuels. Pour y échapper, il faut être dans une école hors contrat car elle peut choisir d’excellents supports, classiques. Malheureusement ces manuels sont rares car ils doivent être réinventés aujourd’hui, sur le programme de 1923 mais enrichis de tout ce que nous pouvons y apporter aujourd’hui, dans la présentation, dans l’organisation des thèmes. Quelle tristesse de voir l’Éducation nationale enfermée dans cette médiocrité des programmes et des manuels sans cours et quelle tristesse également de savoir que les écoles hors contrat ne peuvent accueillir tout le monde. En tant qu’enseignants, où que nous puissions être, dans toutes les écoles, qu’elles soient privées ou publiques, nous voudrions transmettre à tous des cours de qualité, avec d’excellents supports pour offrir un enseignement solide dans la joie d’apprendre.

Pourquoi rester dans la médiocrité et pourquoi les cours de haute qualité ne sont-ils pas mis à la disposition de tous ? L’éducation nationale devrait chercher cette richesse et ne pas l’ignorer.

 

– Qu’est qui a été le plus difficile ? Quels sont vos plus grands regrets ?

Le plus difficile a été de constater qu’un grand nombre d’élèves, souvent de milieux défavorisés, ne pouvaient pas suivre une scolarité normale. Et que nous, adultes, nous en étions responsables. Le système éducatif et son programme ne leur sont pas adaptés. Ils ont entre leurs mains des supports médiocres, imposés, où la leçon est pratiquement absente. C’est une recherche intuitive, les enfants sont perdus. Pour ceux qui n’ont pas la chance d’être suivis par leurs parents, c’est une catastrophe. Ils sont voués à l’échec scolaire, ils sont invités à remplir les salles d’attente des orthophonistes et des psychologues. En agissant ainsi, en appauvrissant l’école, on laisse l’écart entre les enfants de familles plus cultivées et ceux de familles défavorisées socialement se creuser. Souhaite-t-on ne donner qu’aux élites, aux enfants dont les parents accompagnent leurs années scolaires, la chance de s’en sortir ?

 

– Quels devraient être, selon vous, les objectifs prioritaires de l’école ? Quelle place ont-ils dans le système actuel ?

À mon avis, la priorité de l’école aujourd’hui serait de reprendre les anciens programmes, les anciens manuels, comme l’ont fait les éditions du GRIP, en les complétant afin de les rendre attrayants à l’image des nouveaux manuels et de former les futurs enseignants aux matières essentielles : français et mathématiques. Il n’est nul besoin de préparer mille manuels, de les changer presque chaque année. Si les manuels des éditions du GRIP se trouvaient dans chaque petite école de ville et de campagne, les professeurs auraient tout ce qu’il faut en leurs mains pour mener leurs classes et relever le niveau scolaire désastreux.  Il faudrait également remettre en valeur le métier de professeur afin d’y accueillir les personnes dont c’est la vraie vocation. C’est un métier qui est valorisé au Japon, nous devrions nous inspirer de leur émerveillement devant leurs maîtres. Si nous admirons nos professeurs non pour eux mais pour le savoir qu’ils détiennent et les trésors qu’ils offrent à nos enfants, nous le transmettrons à nos enfants qui seront heureux d’apprendre.

Du côté des élèves, nous devrions pouvoir permettre à chacun de s’améliorer et de progresser, en adaptant les niveaux aux différents profils d’élèves avec un socle commun pour tous accompagné d’adaptations d’une part de supports particuliers pour les enfants aux troubles multi-dys et d’autre part de supports approfondis pour permettre aux élèves performants d’aller plus loin, afin de ne pas être freinés mais au contraire d’être tirés vers le haut pour ne pas risquer de perdre leur motivation.

 

– Pensez-vous qu’il soit encore possible d’agir au sein de l’éducation nationale ? Si oui, sur quels leviers : enseignants, parents, hiérarchie, politiques, associations, autres … ?  Si non, sur quelle base peut-on envisager une refondation de l’instruction publique ?

Oui, rien n’est jamais perdu. C’est le principe même de la résilience.  C’est certainement par les parents, premiers éducateurs de leurs enfants, premiers soucieux de l’avenir de leurs enfants, que l’action et la réaction contre ce qui est proposé aujourd’hui pourront se faire. Il faudrait pouvoir informer les parents en leur montrant deux cours : l’un aujourd’hui avec les nouvelles méthodes, l’autre à l’ancienne, puis leur demander celui qu’ils aimeraient pour leurs enfants. Les parents sont inquiets mais ne sont pas assez informés, ils ne connaissent pas assez le passé et les enjeux de l’enseignement pour réagir. Les anciens cours devraient être pour nous un tremplin pour réinventer l’école de demain.

 

– Quels conseils donneriez-vous aux jeunes enseignants ? aux jeunes parents soucieux de l’instruction de leurs enfants ?

Instruisez-vous, prenez en vos mains les méthodes anciennes et les méthodes nouvelles, étudiez-les, comparez-les. Soyez des experts, des maîtres en transmission du savoir. Appuyez-vous sur les meilleures méthodes, qui ont permis aux écrivains, aux mathématiciens, aux compositeurs de fleurir en France. Les enfants se construisant à l’école, notre responsabilité d’éducateur, parent ou enseignant, est immense. Posez-vous la question : que souhaitons-nous offrir à nos enfants pour qu’ils se construisent et s’épanouissent ? Vous avez entre vos mains la plus haute et la plus belle des missions.