Et la cour des Comptes pompait, …

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« En essayant continuellement, on finit par réussir. Donc : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. »

Cette devise Shadok, déjà fort prisée au sein de l’Éducation Nationale semble s’être répandue aujourd’hui jusque dans la Cour des Comptes. C’est du moins le constat d’Aude Denizot qui a lu pour nous le Rapport de la cour des comptes sur l’enseignement primaire.

 

Le constat de la Cour des comptes est banal. Les solutions qu’elle propose n’ont aucun intérêt et vont aggraver la situation au lieu de la résoudre.

  1. La Cour constate une difficulté à recruter les enseignants, mais ne propose nullement la revalorisation de leur traitement. La seule mesure qui leur est destinée est une affectation par département et une mobilité géographique plus souple[1]. C’est bien peu au regard de l’ampleur des problèmes de recrutement et d’affectation.
  2. Ce que le Rapport propose, c’est surtout de perdre du temps : perdre du temps dans le « travail de concertation avec les élus locaux », perdre du temps pour « les projets pédagogiques », perdre du temps en « concertation avec les parents ». Ces réunions et discussions ne résoudront en rien la chute du niveau. Au mieux aboutiront-elles à quelques décisions peut-être intéressantes, mais certainement pas urgentes. Pendant ce temps, le navire de l’éducation a déjà coulé. Alors qu’il faudrait en urgence distribuer des gilets de sauvetage aux enfants, on va discuter de la couleur du futur bateau et du nombre d’étages qu’il contiendra.
  3. La Cour des comptes n’oublie pas le passage obligé sur « le bien-être » de l’enfant, mais le mot « silence » n’apparaît pas : elle a oublié qu’il est une condition essentielle d’un bon apprentissage et aussi d’un certain bien-être. Elle a oublié que le rapport Pisa de 2022 indique que, en cours de mathématiques, un élève sur deux déclare qu’il y a du bruit et de l’agitation (moyenne OCDE : 30%). L’honorable institution financière ne comprend donc pas que l’argent est jeté par la fenêtre parce qu’il sert à financer une garderie, et non pas des enseignements.
  4. Enfin, la Cour des comptes tombe dans le panneau du numérique, à l’heure où les collectifs de parents et d’enseignants se développent et demandent son abandon. Le Rapport cite l’exemple du Danemark pour la lutte contre le harcèlement scolaire, mais il ne dit pas que le Danemark a non seulement abandonné l’éducation numérique, mais encore a présenté, par la voix du ministre de l’Éducation, des excuses aux élèves, qualifiés à cette occasion « de cobayes numériques ». Les références aux expériences étrangères sont donc soigneusement sélectionnées : la Cour des comptes prend ce qui l’intéresse et ferme les yeux sur ce qui la gêne. Elle ferme notamment les yeux sur le bilan carbone catastrophique de cette numérisation. Il n’est pas question non plus de ses impacts humains et des « petites mains » de l’IA qui travaillent dans les pays du Sud, pas très loin des décharges numériques où travaillent des enfants. Le mot numérique apparaît 77 fois dans le Rapport, le mot enseignant 72 fois et le mot professeur 16 fois. L’humain est à peine plus important que la machine. 

Aude Denizot

[1] Le recrutement et l’affectation au niveau de l’académie, et non du département, a souvent été présenté comme un des freins majeurs pour les postulants à cette fonction, notamment dans les académies déficitaires dont il est ensuite très difficile de sortir faute de recrutement suffisant aux différents concours. Une incitation à accepter ces postes sous forme de priorité à définir en termes de mutation, au-delà d’un laps de temps, pourrait encourager les enseignants à y exercer temporairement et, ainsi, contribuer à réduire les inégalités territoriales qui, aujourd’hui, sont manifestes.