Capes et crise de l’éducation

image de fond

Les candidats de valeur académique ne se bousculent pas pour obtenir le CAPES : salaires indignes, absence de soutien de l’administration, défiance, voire mépris vis-à-vis de la profession, vide abyssal des programmes, … autant de motifs qui détournent de ce concours ceux qui, par leurs savoirs et leur vocation, assuraient, dans les années où la France était réputée pour l’excellence de son enseignement, la base du recrutement.

Mais le gouvernement, loin de prendre les mesures indispensables qui découlent de ce constat, préfère aller toujours plus loin dans la négation du problème. La dernière refonte des épreuves des CAPES met l’exigence académique au plus bas de ce qu’on n’a jamais connu, lui préférant des épreuves de bienséance. Un esprit soumis est plus simple à recruter qu’un esprit éveillé par le savoir.

Depuis 2019, de nombreuses voix s’élèvent contre cette réforme (ici, en décembre 2019 ; l’AFPEAH, plus récemment ;  ou encore le Cnarela … ). Nous préférons aujourd’hui mettre l’accent sur son ancrage historique.

L’article d’Hannah Arendt, paru en 1958 sous le titre « La crise de l’éducation » (dans  La Crise de la culture) illustre parfaitement notre propos :

Sous l’influence de la psychologie moderne et des doctrines pragmatiques, la pédagogie est devenue une science de l’enseignement en général, au point de s’affranchir complètement de la matière à enseigner. Est professeur, pensait-on, celui qui est capable d’enseigner … n’importe quoi. Sa formation lui a appris à enseigner et non à maîtriser un sujet particulier. Comme nous le verrons plus loin, cette attitude est naturellement très étroitement liée à une idée fondamentale sur la façon d’apprendre. En outre, au cours des récentes décennies, cela a conduit à négliger complètement la formation des professeurs dans leur propre discipline, surtout dans les écoles secondaires. Puisque le professeur n’a pas besoin de connaître sa propre discipline, il arrive fréquemment qu’il en sait à peine plus que ses élèves. En conséquence, cela ne veut pas seulement dire que les élèves doivent se tirer d’affaire par leurs propres moyens, mais que désormais l’on tarit la source la plus légitime de l’autorité du professeur, qui, quoi qu’on en pense, est encore celui qui en sait le plus et qui est le plus compétent. Ainsi le professeur non autoritaire qui, comptant sur l’autorité que lui confère sa compétence, voudrait s’abstenir de toute méthode de coercition, ne peut plus exister.

Mais c’est une théorie moderne sur la façon d’apprendre qui a permis à la pédagogie et aux écoles normales de jouer ce rôle pernicieux dans la crise actuelle. Cette théorie était tout simplement l’application de la troisième idée de base dans notre contexte, idée qui a été celle du monde moderne pendant des siècles et qui a trouvé son expression conceptuelle systématique dans le pragmatisme. Cette idée de base est que l’on ne peut savoir et comprendre que ce qu’on a fait soi-même, et sa mise en pratique dans l’éducation est aussi élémentaire qu’évidente : substituer, autant que possible, le faire à l’apprendre. S’il n’était pas considéré comme très important que le professeur domine sa discipline, c’est qu’on voulait l’obliger à conserver l’habitude d’apprendre pour qu’il ne transmette pas un « savoir mort », comme on dit, mais qu’au contraire il ne cesse de montrer comment ce savoir s’acquiert. L’intention avouée n’était pas d’enseigner un savoir, mais d’inculquer un savoir-faire : le résultat fut une sorte de transformation des collèges d’enseignement général en instituts professionnels qui ont remporté autant de succès quand il s’est agi d’apprendre à conduire une voiture, à taper à la machine, ou -plus important encore pour l’«art de vivre» – à se bien comporter en société et à être populaire, qu’ils ont récolté d’échecs quand il s’est agi d’inculquer aux enfants les connaissances requises par un programme d’études normal. »

Lire la totalité du texte.